samedi 29 mars 2014

La décroisade - Pierre Gévart

La décroisade, de Pierre Gévart

285 pages
Editions Lokomodo
Parution : février 2014

4ème de couverture :
Sagaï, le faiseur de pluie, retrouve la Terre après six siècles de voyage. Mais c’est à présent un monde désertique, où les pluies sont quasi inexistantes. Le cardinal Alvin Aaleigh revient d’un autre voyage d’évangélisation des mondes lointains, de six cents ans également, et débarque en compagnie d’un prêtre extraterrestre sur une Terre désormais acquise à l'islam, où le Pape est devenu "Al Abbas". Tous les deux ont bien des choses en commun, mais aussi bien des points de divergence. Aussi est-ce à la fois en alliés et en adversaires qu’ils tenteront de lancer une croisade. Cependant, la partie qui s’engage a plus de deux joueurs... et le véritable enjeu n'est peut-être pas uniquement religieux.

     Imaginez un instant que Mars soit devenue une planète habitable et cultivée. Une planète verte et agréable.
     Puis imaginez que la Terre soit devenue un immense désert, aride et triste.
     Comment serait-ce possible ?
     Il se pourrait qu’un Faiseur de pluie soit passé sur la première et que sa danse la rende fertile. Mais la seconde ? Il est possible qu’un groupe de martiens mal intentionnés ait décidé de l’assécher… mais pourquoi ?

     Sur Terre, l’Eglise s’est affaiblie au profit de l’Islam, et le Vatican n’est plus qu’un souvenir. Un Pape demeure en place, mais plus pour la forme qu’autre chose. Il est, dans ce monde, mal vu d’être chrétien. Le Calife veille à ce que l’Islam et ses commandements soient respectés.

     C’est dans ce monde qu’atterrissent le Cardinal Alvin Aaleigh et mère Velvet.
Et quelle n’est pas leur surprise de revenir d’une mission de près de 600 ans terrestres et de retrouver leur planète en pareille situation. Tous les deux ont embarqué sur le vaisseau le Saint Ampoule, pour partir à la recherche d’autres mondes croyants avec lesquels bâtir une Eglise plus forte.
     C’est ainsi qu’ils rapporte dans leurs bagages, un Scranxien, un extraterrestre possédant de forts pouvoirs psychiques.

     Et c’est sur cette Terre bouleversée, que va reprendre connaissance un jeune homme du nom de Sagaï. Lui aussi a connu la Terre que nous connaissons aujourd’hui. Il ne se souvient de rien de sont passé. Les martiens lui ont posé une barrière psychique en attendant que vienne l’heure propice au déroulement de leur plan : « Déluge. ».
    Mais qui est Sagaï ? Comment cet homme, qui ne se souvient pas croyant, peut-il être reconnu par tous comme le nouveau Messie ? Etonné, il décide de jouer le jeu : jusqu’où cela le mènera-t-il ? Peut-il faire confiance à ceux qui l’entourent ?

    Ces hommes et femme du passé devront essayer de comprendre comment leur monde en est arrivé à cet extrême, quelles sont les puissances en jeu. Ils leur faudra être attentifs et rusés pour tirer leur épingle du jeu.

     A travers ce texte, il nous est facile de noter certaines similitudes avec le monde géopolitique et religieux actuel.
     Mars se place en super-puissance, qui de loin, décide de ce que doit être le sort de la Terre : « asséchons-la », et quelques années plus tard, « peut-être avons-nous fait une erreur, rendons-lui son eau », mais les martiens ont-ils seulement pris conscience de leurs actes, évaluez les conséquences pour les terriens. Il est si facile de décider pour les autres, lorsque l’on n’est soi-même pas concerné. Il est si agréable de se sentir tout puissant ; mais cela a un prix à payer, et il faut toujours surveiller ses arrières.
    Le conflit religieux en est-il vraiment un ? Est-il vraiment question de théologie, ou ne serait-ce pas plutôt des hommes avides de pouvoir qui la brandissent devant eux, telle une justification de leurs actes ? Guerre et religion sont pourtant opposées, et paradoxalement elles se trouvent sans cesse enchevêtrées, dans notre passé comme dans notre présent, et sûrement comme dans notre avenir.
     Dans ce texte ressort aussi une part noire de la nature humaine : moi d’abord, mon intérêt d’abord. Tu ne m’es utile que tant que j’ai besoin de toi, ensuite je te laisse dans l’ombre, au mieux, ou je te trahis, au pire. Les hommes sont égoïstes et égocentriques, et 600 ans plus tard, ils n’ont toujours pas compris les messages d’amour et de partage que propagent les différentes religions.

     Dans ce texte, on y retrouve au final presque toutes les religions : l’islam, le judaïsme et la chrétienté sur Terre, mais aussi le protestantisme sur Mars et un mouvement shamanique qui erre dans l’espace et que les autres vont tenter d’exploiter. Serait-ce un message ? Faudrait-il revenir à des croyances plus simples, basées sur les éléments, et apprécier ce que la planète nous offre, plutôt que de se faire la guerre au nom d’un Dieu unique ?

     J’ai été un peu déçue des raccourcis un peu stéréotypés que fait l’auteur.
Le désert a grignoté la Terre, se qui a favorisé l’expansion de l’Islam, pourquoi ? Parce que ce sont initialement des peuples du désert ? Le Pape catholique n’a qu’une idée en tête : rendre sa splendeur à Rome et au Vatican, à croire que seul le prestige le satisfait. Le juif est fourbe et rusé, il arrive au bon moment, arrange les choses à sa sauce, pour finalement filer pour sauver sa peau. Les protestants ne peuvent s’empêcher de se croire supérieurs, et de vouloir s’imposer et contrôler.
    J’ai presque envie de dire : pitié !
     Comment aller vers une paix religieuse si ce genre de stéréotypes restent autant ancrés dans les esprits ?! Heureusement, l’auteur pointe aussi du doigt quelques points communs, mais de façon trop légère je trouve.
     Par contre j’ai apprécié que le Scranxien écoute ce que le Cardinal Alvin, l’Emir et le juif avait à dire avant de se rallier à une religion. Et on constate que ce ne sont pas ceux qui ont le plus essayé de l’attirer vers eux qui y sont parvenus. C’est une leçon à retenir : en faire trop, est plus souvent synonyme d’échec que de réussite. A trop vouloir convaincre, on oublie d’écouter et de répondre aux questions, or quelqu’un qui se cherche a avant tout besoin de réponses.

     L’idée de départ n’est pas mauvaise, joindre science-fiction, catastrophe climatique, guerre de religion et quête de pouvoir, mais il y a presque trop de données mélangées, ce qui rend les éléments durs à exploiter complètement. Il y a un grand nombre de raccourcis qui sont fait tout au long du roman que j’ai trouvé assez gênant. Les raisons de l’assèchement de la Terre ne sont que brièvement exposées, c’est comme ça et puis voilà. Comment et pourquoi l’Islam est devenue la religion dominante sur le globe ? Et quel rapport avec la sécheresse ? Comment se fait-il qu’un Pape soit toujours toléré, alors que les chrétiens se cachent ? Pourquoi le Cardinal est parti en mission et comment se fait-il que le Pape ne l’attende pas plus que ça ?
     Et que dire de la fin ? Elle m’a presque désolée, surtout les dernières lignes. Qu’est-ce que cette histoire de jalousie féminine vient faire là ? J’avoue ne pas avoir compris. Alors que j’aurais aimé savoir ce qu’il était advenu de Mars, quelles sont les conséquences du déluge ? Que vont faire nos amis fuyards avec leur arche de Noé de l’espace ? Comment l’Islam et la Chrétienté ont finalement pu s’entendre sur Terre ?
     Pour moi ce sont trop de questions demeurées sans réponses, et j’ai presque envie de dire : tant de pages lues pour en arriver là, à n’en savoir que si peu ?

     Toutefois le roman se lit bien, une fois plongé dans le texte, on se laisse prendre, et on voyage dans ce monde du futur. L’écriture est fluide, mais parsemée de mots très techniques, le vocabulaire religieux est très exploité, donc si vous n’êtes pas familiers avec les termes théologiques, un dictionnaire à portée de mains, pourra s’avérer un allié de poids.
     Je regrette peut-être les descriptions souvent sommaires dans les moments clefs et plus détaillées lors des relâches de l’histoire, comme pour meubler un vide d’écriture.

     Malgré une petite frustration à la fin, c’est une lecture que j’ai appréciée, et qui je pense me restera en tête quelques jours grâce à toutes les questions religieuses et géopolitiques que l’auteur soulève à demi-mots.

     Si vous êtes allergiques aux prêtres, imams, rabbin, et à toute citation de texte sacré, passez votre chemin, ce texte n’est pas pour vous. 


    « Pourtant nous n’avons rien changé à nos plans. Spiritu Sancte a été programmé au départ, il y a exactement cinq cents quatre-vingt-seize ans, deux mois, et trois jours. Je vous passe les heures et les secondes. »

    « Mes frères, je suis venu vous annoncer des temps de souffrance et de mort, et puis des temps de gloire et de résurrection. Prenez votre croix, croisez-vous, mes frères, et délivrez l’Eglise. »

    « Janos ne put réprimer un sourire : il allait avoir bientôt réalisé la première partie de sa mission sans avoir eu à se donner d’autre peine que celle de ne pas saisir les chances de s’enfuir qui se présentaient à lui. Pour un peu, il aurait éclaté de rire. »

    « La vraie Croisade, c’est d’abord dans nos cœurs qu’il faut la mener. Les seules armes qu’il nous faut pour cela, ce sont la prière, et l’amour. Que toutes nos troupes déposent les armes. »

    « Il n’ignorait pas qu’avait existé un jour une guilde des maîtres de la pluie et des condensateurs Megarex, mais il partageait la conviction, qui était celle de tous les hommes de Mars et sans doute de la Terre, selon laquelle les maîtres étaient en fait des techniciens en blouses blanches. On n’avait inventé cette histoire de danse de la pluie qu’en s’inspirant de vieilles coutumes des pré-civilisés terriens, pour enjoliver le récit des évènements. Et pourtant, il se rendait maintenant compte que tout cela était vrai : [il] dansait ! »



    Merci aux édition Lokomodo et au forum Have a Break, Have a Book pour la découverte de ce livre.

3 commentaires:

  1. c'est effectivement pas mon style de lecture mais ta chronique est hyper complète. Bravo.
    J'en profite pour te tagé, bon courage et à bientot

    http://mavie-mespasions.blogspot.fr/2014/03/divers-liebster-award.html

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  2. J'aime beaucoup ton avis sur ce roman. Je l'ai terminé hier j'ai beaucoup aimé. Par contre, pour la question des stéréotypes, je pense que c'est totalement voulu. Je trouve qu'ils appuis bien le fait que, les religions seront toujours en désaccord, chacune avec une certaine vision des autres. Et peut être que, tout simplement l'auteur déteste les religions x) On peut pas vraiment savoir, mais je pense pas que, quand tu t'attaques à un sujet pareil, avec sa manière de faire dans la critique de l'aspect pouvoir, tu puisses mettre des stéréotypes juste parce que tu n'as pas d'idée. Et pour ce qui est des femmes et la jalousie, c'est normal. Pourquoi elle ne le serait pas? On voit bien dans ce roman que les femmes n'ont pas trop de place dans ce monde religieux. Elles vivent à travers les hommes. Pour moi ce procédé met en avant cela.
    Enfin bref, un livre vachement intéressant en tout cas, super chronique :D

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