Derrière toute chose exquise, de Sébastien Fritsch
226 pages
Editions fin mars début avril
Parution février 2014
4ème de couverture :
Depuis près de vingt ans, Jonas Burkel photographie toujours la même
femme ; seul le prénom change. Mais plus que les brunes longilignes au
regard perdu, il semble que son vrai grand amour soit ses habitudes :
ses disques de piano jazz, ses errances dans Paris… et ces corps
féminins dociles et invariables.
La fille qu’il découvre
dans un train de banlieue, accrochée à un roman d’Oscar Wilde, semble
la candidate idéale pour prolonger la série : il oublie immédiatement
son précédent modèle, imagine déjà sa nouvelle conquête devant son
objectif, dans des rues sombres, sous la pluie, sous ses draps…
L'idée
qu'une femme puisse refuser son petit jeu sentimental ne lui traverse
même pas l'esprit. Mais comment pourrait-il deviner que, tout comme lui,
la lectrice du train n’accepte aucune règle sinon celles qu’elle
invente ? Et que tout ceux qui l’approchent doivent s’y plier ; jusqu'à y
jouer leur vie.
J’avoue avoir eu beaucoup de mal à rentrer dans ce livre. Il m’a fallu
m’y reprendre à plusieurs fois pour arriver à passer les premières
pages. Pourquoi ? Sûrement le style et l’écriture un peu chargés, et
puis je m’y suis remise un soir, au calme, et j’ai commencé à lire à
voix haute. Et ce fut une révélation, tout devenait plus fluide, plus
clair, plus simple. Ma voix se faisait celle du narrateur, je portais
ses interrogations à l’oral et cela fonctionnait bien. Je me suis alors
vue happée dans ma lecture, entraînée par la musique des mots.
Une
fois la dernière page achevée, et le livre refermé, je suis restée un
peu sceptique, ai-je aimé ce livre ou non ? Ai-je bien perçu ce que
l’auteur voulait nous dire ?
Sébastien Fritsch
nous raconte à travers ce roman l’amour fantasmé d’un homme pour une
femme qu’il a juste entrevue. Une femme belle, impertinente et
mystérieuse. Est-ce ce mystère qui l’entoure, qui le séduit ? Dès les
premiers regards, elle prend toute la place dans la vie de cet homme,
qui n’arrive plus à se concentrer ni sur sa vie professionnelle, ni sur
sa vie amoureuse, ni sur lui-même. Il est obsédé par elle, guettant le
moindre signe de sa part.
De l’homme contrôlant sa vie à l’extrême,
il devient marionnette consentante, spectateur de sa propre vie dont une
autre tire les ficelles. Mais pourquoi ? Dans quel but ?
Ce
livre est un livre d’obsessions. Jonas est aussi obsédé par cette femme
fantasmée que son ex Margot l’est encore de lui. Cette dernière passe
des heures entières dans la rue à guetter ses moindres faits et gestes,
et à tout consigner sur des carnets. De la victime observée, il devient
lui aussi observateur. Mais de quoi ?
Cette jeune
mystérieuse qui est-elle ? Nous ne savons que très peu de choses d’elle.
Elle a envoûté Jonas de 20 ans son aîné, d’un simple regard, elle aime
Oscar Wilde et plus particulièrement le Portrait de Dorian Grey, livre
qui jouera un rôle titre dans ce livre. Nous savons qu’elle est grande,
brune et mince, et vraiment très belle. Qu’elle sait jouer la femme
fatale, et la jeune fille un peu paumée. Mais nous savons surtout que
Jonas la trouve parfaite. Parfaite en tout point.
Mais ne vous fiez pas plus à l’eau qui dort, qu’à une jeune fille à qui vous donneriez le bon Dieu sans confession !
Ce
personnage de la femme fantasmée, m’a fait pensé à celui de Nina de La
Mouette de Tchekhov. Personnage omniprésent mais absent tout à la fois,
il n’est présent que par la place que lui donne le personnage principal.
Dans les deux cas, il s’agit d’une femme aimée, désirée, fantasmée et
donc parfaite aux yeux de celui qui la fait vivre sous nos yeux.
Jonas
est un salaud, mais dans ce livre ce n’est pas ce trait de caractère
qui le caractérise le plus, je trouve. Certes il se conduit fort mal
avec la douce Emmanuelle, mais pour moi c’est surtout un idiot. Mais du
genre idiot de première catégorie ! Certes on dit qu’il n’y a rien de
plus bête qu’un homme amoureux, mais là on atteint des sommets de
bêtises. Le moment où c’est le plus flagrant ? Lorsqu’il a des doutes
sur sa chambre noire, mais qu’il ne va pas vérifier, tout à l’espoir de
ce qu’il a imaginé.
Il se berce d’illusions, sans jamais redescendre
les pieds sur terre. Bien que l’adage dise que « L’espoir fait vivre »
il ne fait pas oublier de s’ancrer dans le réel. Jonas, lui, vit
tellement dans ses rêves et ses espérances, qu’il devient un spectateur
de sa propre vie, comme absent de lui-même.
Je ne pense pas que l’on
puisse dire qu’il a basculé dans la folie, car il n’est pas fou, il est
juste extérieur à lui-même. Il ne vit pas dans sa tête comme le font
les fous, il vit dans un réel orienté dans une seule et même direction :
la femme qu’il fantasme, et qui joue une partition parfaite pour le
maintenir dans cette voie.
Par contre comment en arriver à supposer qu’il intéresse cette jeune femme ? Comment peut-il encore se bercer d’illusions ?
L’homme
pense trop ! C’est un fait, nous pensons trop. Et il est intéressant de
le voir ainsi transposé sur le papier. Au cours de ma lecture, j’avoue
avoir été parfois un peu agacée par certains passages où le narrateur
ressasse sans arrêts ses pensées, où il rapporte toutes ses
suppositions, où il explore tous ses espoirs. Mais quoi de plus juste, à
bien y réfléchir ? Ne passons-nous pas plusieurs heures par jour dans
nos têtes à nous interroger ? revivre certaines scènes de la journée ? à
formuler des suppositions ?
Ici Sébastien Fritsch prend le pari de noter chaque pensée de son personnage, et il faut bien le reconnaître, c’était assez osé.
Je
regrette un petit peu la lourdeur du texte. Ce texte n’est pas des plus
faciles d’accès, on n’ouvre pas ce livre pour s’y plonger si
facilement. Le niveau de langage est élevé, les descriptions très
denses, les phrases à rallonges. Je pense que c’est en partie ces
dernières qui m’ont gênées dans un premier temps. Le début aurait pu
être plus léger, plus enlevé. Jonas est un personnage qui se noie dans
les paroles et les détails, mais il le fait un peu trop au départ, ce
qui alourdi considérablement le texte, et atténue ce trait particulier
de Jonas qui ressort davantage lorsque la situation lui échappe
complètement.
Quelques points de détails ont fini par me faire lever
les yeux au plafond, comme « le canapé-lit rayé vert et blanc ». Au
bout de la dixième allusion, j’ai fini par trouver ça un peu redondant.
L’auteur veut-il insister particulièrement sur ce canapé parce qu’il est
un élément stable et rassurant dans la vie de Jonas ? Je crois que le
pire c’est que je n’arrive toujours pas à visualiser ce fichu canapé,
moi !
L’idée développée dans ce livre est vraiment
intéressante, parfois un peu tirée par les cheveux, mais pour le moins
originale. On ne voit pas venir la chute, et jamais je n’aurais imaginé
que les choses tournent ainsi sur les cinquante dernières pages. C’était
une fin pour le moins inattendue !
Je crois que ce qu’il
faut retenir c’est que fantasmer un homme ou une femme c’est lui donner
un très grand pouvoir sur soi. C’est s’abandonner sans connaître
l’autre et que cela peut vous conduire sur les voies du paradis ou de
l’enfer …
« Assise droite comme un i sur une banquette
orange, elle lit. Et c’est en la découvrant ainsi, absorbée par des mots
indifférente au monde, inconsciente du pouvoir qu’elle exerce, que je
tombe amoureux. »
« Elle n’est plus vraiment un corps,
mais pas encore un objet non plus. Et à chaque fois, en bordure d’image,
un aperçu du décor ravagé étaye, de ses arguments imparables,
l’égarement de ses yeux pâles, la rigide affliction que l’on lit sur ses
lèvres ou la désespérante résignation que dévoile l’inclinaison de son
visage, fermé, absent. Elle donne ainsi à mesurer avec plus de violence
cette effrayante sensation de solitude qui est le propre de l’homme. »
«
Elle ne se vante pas. Elle constate simplement son bonheur. Et son
bonheur, c’est quoi ? C’est de m’avoir, moi, Jonas Burkel, quarante-deux
ans et des poussières, photographe sombre, ami sans chaleur, amant sans
foi, habitant indétrônable du quartier des Batignolles depuis dix-sept
ans. Je ne comprends pas où se trouve le bonheur dans cette fiche
signalétique. Il doit y avoir des petits caractères tout en bas que je
n’ai jamais su lire. Mais c’est pourtant ainsi : Emmanuelle est heureuse
avec moi, heureuse de m’avoir, heureuse de notre vie commune, simple,
sans exigence. »
« Je ne sais combien de temps je reste à
la regarder pleurer. Il serait si simple de ne pas bouger, de ne plus
bouger, de laisser, une fois de plus, la vie faire comme bon lui semble.
Une femme dort dans ma chambre, une autre pleure sur le palier, je suis
immobile entre les deux. Si je n’ouvre pas, l’une partira, l’autre se
réveillera à l’heure du grand soleil et tout sera pour le mieux.
Ce scénario du moindre effort finit par l’emporter. »
Merci à l'auteur Sébastien Fritsch et au forum Have a Break, Have a Book, de m'avoir fait découvrir ce livre.
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