jeudi 4 décembre 2014

Réparer les vivants - Maylis de Kerangal

Réparer les vivants, Maylis de Kerangal

281 pages
Editions Gallimard , Collection Verticales
Parution : Janvier 2014

4ème de couverture :
    "Le coeur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d'autres provinces, ils filaient vers d'autres corps". 
    Réparer les vivants est le roman d'une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d'accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le coeur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l'amour.

    J'avais découvert ce livre dans le numéro de LIRE qui parlait de la rentrée littéraire de janvier, et qui en faisait une critique plus qu'élogieuse. J'avoue que souvent cet engouement pour un livre me laisse sceptique : réalité ou publicité ? L'ayant également aperçu par-ci par-là, je me suis dit que si je le croisais sur ma route, je pousserai la curiosité jusqu'à la lire. Et je fus exaucée car je l'ai trouvé à la bibliothèque, sitôt vu, sitôt embarqué !
     Je n'avais pas pris la peine de relire la 4ème de couverture, je me rappelais vaguement le sujet, je me suis plongée dans ma lecture curieuse et sans attente. Et ce fut une bonne surprise ! J'ai constaté ces derniers temps que je peinais souvent à rentrer dans l'histoire, que les premières pages étaient souvent difficiles à lire, mais pas là.
     Dès les premières lignes Maylis de Kerangal nous entraine dans une histoire qui ne durera au final que 24h, mais ça nous ne le savons pas encore. Nous rencontrons le jeune Simon et ses amis, prêts à aller prendre la vague malgré le froid glaçant de l'hiver. Ce premier chapitre déborde de vie, de joie et de précisions. Il nous happe sans autre forme de procés.
    Et puis tout s'enchaine, l'accident, les parents, les décisions à prendre sans avoir pleinement le temps de réaliser ce qui se passe, le temps est compté à chaque instant.
     Le temps est compté il faut faire vite, mais la lecture n'est pas stressante, car l'auteur prend le temps de nous présenter des petits morceaux de la vie de tous les protagonistes de l'histoire, les rendant ainsi humains à nos yeux de lecteur et non pas seulement un engrenage d'une machine bien rodée, froide et efficace. Derrière chaque intervenant se cache un être humain, avec une vocation, une vie, ses faiblesses et ses espoirs.

    Le sujet traité est difficile, le don d'organe n'est pas un sujet dont on parle beaucoup de nos jours. C'est un sujet que l'on aborde peu avec ses proches, par peur de s'attirer le malheur sur soi ? parce que la vie nous semble trop belle pour s'arrêter brutalement ? C'est justement pour ça qu'il faut en parler, pour que dans tous les cas la vie puisse continuer pour les vivants : les proches et les inconnus. En parler et donner son point de vue sur le sujet à ses proches leur évitera si le cas se présente de devoir se torturer les méninges et d'endosser une responsabilité alors au-dessus de leurs faibles forces du moment, leur évitera une éventuelle culpabilité.

     Ecrire ce roman était un exercice difficile pour son auteur, car il fallait toujours rester dans la juste mesure, ni trop en faire de peur de lasser le lecteur, ni rester dans le simple schéma descriptif.
    Dans cet exercice Maylis de Kerangal a excellé, ne tombant jamais dans le pathos qui aurait été un calvaire à lire, mais qui par ses descriptions simples et son agilité à manier les mots, nous fait ressentir chacune des émotions. Nous nous mettons tour à tour dans la peau de ce jeune qui s'amuse sur son surf, à la place de cette mère complètement perdue qui ne sait plus ce qu'il lui arrive, de cette femme qui prend conscience que cela aurait pu être son fils, ce père qui regrette d'être parti 4 mois plus tôt, de cette petite fille qui ne comprend rien ; mais aussi de ce médecin de service qui découvre ce patient au début de sa garde et se sent impuissant, de cet infirmier spécialisé qui prendra le temps d'accompagner les parents, de cette jeune infirmière qui découvre ce service, de ce jeune médecin qui devra prélever le greffon et son interne curieuse qui devra garder son sang froid. Nous devenons tour à tour chacun d'eux, car l'auteur sait nous les rendre proche, sait en quelque mot nous glisser leur état d'esprit du moment et nous enfilons une nouvelle peau à chaque début de chapitre.
     J'avoue que plusieurs fois les larmes ont coulées sur mes joues, sans que les sentent venir, appelée par une phrase ou deux, jamais plus.

    Ce livre se lit incroyablement vite, malgré le sujet il est prenant et on ressort changé de notre lecture. Le premier mot que j'ai eu pour qualifier ce livre : Waouh !
     Le succès rencontré par ce roman est totalement justifier à mes yeux, c'est un exercice de haute voltige littéraire.
     C'est un livre a avoir lu une fois dans sa vie, mais pas un livre que l'on relit. C'est un livre qui doit circuler pour sensibiliser le plus grand nombre.

     "[...] rien ne lui a jamais semblé plus violent, plus complexe, que de venir se placer à côté de cette femme afin qu'ils creusent ensemble dans cette zone fragile du langage où se déclare la mort, pour qu'ils y avancent, synchrones. Il annonce : Simon ne réagit plus aux stimuli douloureux, des troubles oculaires et végétatifs sont apparus, notamment des troubles respiratoires, avec un début d'encombrement pulmonaire, et par ailleurs les premiers scanners ne sont pas bons - sa phrase est lente, ponctuée de reprises de souffle, manière d'y inscrire son corps, de le rendre présent dans la parole, de faire de la sentence clinique une empathie, il parle comme s'il ciselait une matière, et maintenant  ils se tiennent les dans les yeux, se font face, c'est cela, rien d'autre que cela, un absolu face-à-facen et celui-là s'accomplit sans faillir, comme si parler et se regarder étaient le recto et le verso d'un même geste, comme s'il s'agissait de se faire face autant que de faire face ç ce qui se profile dans une des chambres de l'hôpital."

     "Ils sont l'ombres d'eux-mêmes aurait-on dit pour les décrire, la banalité de l'expression relevant moins de désagrégation intérieure de ce couple que soulignant ce qu'ils étaient encore le matin même, un homme et une femme debout dans le monde, et à les voir marcher côte à côte sur le sol laqué de lumière froide, chacun pouvait saisir que désormais ces deux-là poursuivaient la trajectoire amorcée quelques heures auparavant, ne vivaient déjà plus tout à fait dans le même monde que Cordélia et les autres habitants de la Terre, mais effectivement s'en éloignaient, s'en absentaient, et se déplaçaient vers un autre domaine, qui était peut-être celui où survivaient un temps, ensemble et inconsolables, ceux qui avaient perdus un enfant."

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Livre lu dans le cadre des challenges : (cliquez sur les images pour voir les challenges) 

http://www.lalecturienne.com/2014/07/un-marathon-litteraire-par-thematique.htmlhttp://www.lalecturienne.com/2014/01/challenge-des-100-lectures-2014.html
http://www.lalecturienne.com/2014/08/challenge-1-mois-1-nouvelle-plume.html

2 commentaires:

  1. Ce livre me tente beaucoup ! Je ne sais plus comment j'en avais entendu parler la première fois, mais en tout cas je ne trouve pas beaucoup de chroniques de ce livre sur les blogs :/ Merci pour ton avis, donc. J'espère avoir l'occasion de découvrir cette histoire rapidement :-)
    Bises !

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  2. Absolument d'accord avec cette critique ! J'ai beaucoup aimé l'histoire, l'écriture et le rythme si particulier qu'on a l'impression d'entendre battre le coeur de Simon, véritable personnage et même héros à part entière de ce roman.

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