vendredi 14 août 2015

La femme qui ne savait pas garder les hommes - Vénus Khoury-Ghata

La femme qui ne savait pas garder les hommes, de Vénus Khoury-Ghata

123 pages
Editions Mercure de France
Parution : mai 2015

4ème de couverture :
    Tu écris comme on crie pour appeler à ton secours, transformer les morts en vivants, retrouver des lieux perdus. Jamais de plan, tes personnages te dictent les mots qu'il faut. Tu écris comme tu jardines, la terre creusée en profondeur comme pour mieux t'ancrer dans le sol français, écris pour liquider un contentieux avec toi-même et ton passé. Tu as rarement recours à l'imagination, ta vie dépasse toute fiction. C'est dans ta nature de perdre les hommes qui t'aiment, dans ta nature d'écrire ce que tu vis, le vécu ne prend sens qu'une fois écrit noir sur blanc ou serré, braise dans ta main, la brûlure confirme que tu es encore en vie. 
    Une femme s'interroge : pour quelles raisons n'a-t-elle pas su garder les hommes qui ont partagé sa vie ? La passion d'écrire est-elle incompatible avec l'amour ?
    Vénus Khoury-Ghata parle de toutes les femmes qui vivent dans une grande solitude après une disparition.
    Vénus Khoury-Ghata rend le deuil presque supportable 


    Depuis que je l'ai eu entre les mains, je n'ai eu qu'une hâte : le lire. Toute de suite j'ai senti que ce livre ne se lisait pas comme ça, n'importe comment, qu'il lui fallait un écrin, un moment tout à lui, hors du temps, hors de moi. Je l'ai glissé dans mon sac lors d'une longue balade, et c'est sous un arbre inconnu que j'ai pu me plonger dans ma lecture, l'esprit libre et léger.

    Dans ce livre nous rencontrons une femme, la femme en noire, qui au travers de sa plume, de ses pensées et de sa vie nous parle des deux hommes qui ont traversé sa vie y laissant une empreinte indélébile et deux entailles profondes.
    Le premier était jeune, beau, l'aimait et était aimé. Ils se sont mariés, une enfant est née de cette union et il a disparu, emporté par la mort. Une vie vient en remplacer une autre. La femme en noire, est allée au cimetière, a dispersé les cendres, a fait des confitures et a fermé son coeur. Elle s'est sentie veuve à jamais, vivant chaque jour avec le "fantôme" de son mort qui ne veut pas quitter les lieux. Commence une nouvelle vie à deux, où chacun reprend sa place.
    Un jour, un autre homme se présente, un vieux comme elle le dit. C'est l'enfant qui les présente. La femme en noir l'accueille dans sa vie, partage la sienne, mais ne lui ouvre pas son coeur. Cet homme veut l'épouser, elle ne veut pas : elle est déjà mariée et lui aussi, chacun a son fantôme. L'homme emménage chez elle, partage son appartement et veut y mourir.
   La femme en noir se rendra à nouveau au cimetière, dispersera les cendres et fera des confitures. Une nouvelle vie commencera alors.

    Armée de sa plume, la femme en noire, fait revivre ses morts, nous les fait connaître, les fait disparaître, les invites et les congédies au fil de ses réflexions, de ses interrogations, de ses rêves, des ses désirs, de ses humeurs.
    Nous traversons cette lecture comme nous traverserions un grand bal, passant de la valse, douce et romantique, à la polka enlevée, à la scottish joyeuse, à la marche trainante. A travers ses mots, Vénus Khoury-Ghata, nous fait passer par toutes les émotions, joue sur notre corde sensible, choque parfois, lève des interrogations.
     Nous devenons cette femme en noir qui fait de l'écriture un exutoire, elle nous habite, ses mots semblent nôtres. Nous devenons ce mort pris à témoin, cet inconnu à qui l'on déballe tout ce que l'on a sur le coeur pour se sentir plus léger.

    Il n'y a rien de plus difficile à surmonter que le décès de son conjoint car il vous laisse seul et désemparé dans une vie dont il ne fait plus partie. Il vous abandonne sans retour possible, coupant tout contact. C'est le silence qui est le plus pesant.
    Chacun essaye de faire revivre ses morts à sa façon, parce que leurs présences semblent rassurantes, tant qu'on les raccroche à notre vie, ils ne sont pas tout à fait partis.
    La femme en noir écrit encore et toujours pour les faire revivre, l'exercice reste vain, elle en est consciente, mais c'est encore ce qu'elle a trouvé de mieux.

    Vénus Khoury-Ghata a une plume incroyable, à la fois poétique, franche et subtile. Elle surprend son lecteur. Il m'est arrivé de relire certains passages et de me dire qu'elle aurait pu le rendre plus poétique encore, avant de réaliser que non : elle casse un paragraphe par un mot, une expression pour rendre au deuil toute son amertume, sa colère ou sa douleur. Chaque mot a la tonalité juste pour vibrer sur la corde des émotions.

    Ce livre est un petit bijoux de poésie et d'émotion. De ces petits livres à garder dans un coin de sa bibliothèque parce qu'un jour il se fera cataplasme ou rallumera la flamme de la mémoire
    Je garde un délicieux souvenir de ce moment de lecture, hors du temps.

    Lis et écris plus vite que tes yeux et ta main, le regard, tourné en dedans, brille comme au fond d'un trou. L'écriture te sauve à chaque défaite, à chaque perte d'un être cher. Un livre terminé tu te sens vulnérable, tout t'agresse. Impression de remuer sans cesse la boue qui stagne au fond de toi, épaisse comme une vase d'étang ; l'écriture te tenant lieu de colonne vertébrale, de garde-fou contre le mal d'être, le mal de vivre.

    Faut-il que les êtres soient habillés de terre pour que tu te rendes compte de leur existence : les morts arrivent dès que tu les invites sur ta page, font trois tours puis s'en vont sans le moindre mot consolateur, sans lire le paragraphe qui les concerne, et la page se désolé quand l'écriture reste impuissante à asseoir le mort à table pour une discussion franche afin de savoir qui avait tort et qui avait raison.

    Les morts n'ont que faire des potages et de l'écriture.

    Entourée d'hommes mais si seule, en manque d'amour mais tu ne cessais de le rejeter. Tu as du mal à imaginer un homme entre tes murs, dans ton lit. Tu te veux veuve à vie. Pourquoi alors ce désarroi chaque fois qu'un homme meurt ou te quitte alors qu'un homme n'est pas un toit qui protège des intempéries, n'est pas une porte qui protège des cambrioleurs, n'est pas un mur où s'adosser ? Un homme n'est qu'un homme.

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