jeudi 1 octobre 2015

Quand le diable sortit de la salle de bain - Sophie Divry

Quand le diable sortit de la salle de bain, de Sophie Divry

309 pages
Editions Noir sur blanc, Collection Notabilia
Parution : 20 août 2015

4ème de couverture :
    Dans un petit studio mal chauffé de Lyon, Sophie, une jeune chômeuse, est empêtrée dans l’écriture de son roman. Elle survit entre petites combines et grosses faims. Certaines personnes vont avec bonté l’aider, tandis que son ami Hector, obsédé sexuel, et Lorchus, son démon personnel, vont lui rendre la vie plus compliquée encore. Difficile de ne pas céder à la folie quand s’enchaînent les péripéties les plus folles.
     Après la mélancolie de La Condition pavillonnaire, Sophie Divry revient avec un roman improvisé, interruptif, rigolo, digressif, foutraque, intelligent, émouvant, qui, sur fond de gravité, en dit long sur notre époque.

    Difficile de parler d'un tel livre ! Tout d'abord parce qu'il est excellent, ensuite parce qu'il a un côté OLNI (Objet Littéraire Non Identifié) et surtout parce que c'est une lecture qui parait très intime, pour moi en tout cas.

    Dans ce livre Sophie Divry nous explique sans détours comment on peut vivre en étant fauché comme les blés. Est-elle la narratrice de cette histoire ? Une telle profusion de détails, une telle justesse et une telle simplicité me ferait dire que oui, ... mais dans le doute je vais dissocier auteure et narratrice.

    Dans ce livre nous rencontrons donc Sophie, une jeune chômeuse qui a décidé de vivre de sa plume, ce qui ne s'avère pas aussi simple que prévu. Très vite, les fins de mois deviennent difficiles. S'il ne lui est pas difficile d'abandonner toute envie d'être à la mode, de se pomponner et toutes sortes de choses futiles, son problème majeur reste : payer ses factures et manger. Et c'est bien dans cet ordre là qu'il faut faire les choses pour ne pas se retrouver à la rue, ce qui serait alors le plus grand des échecs.
    Sa vie pourrait être simple si son meilleur ami ne la sollicitait pas régulièrement pour qu'elle lui rende de menus services et si son démon intérieur ne venait pas la harceler de temps à autre. Sans eux elle pourrait presque trouver sa vie tranquille et agréable. Mais voilà, on ne fait pas ce que l'on veut dans la vie, et il lui faut composer avec.
    Arrivera-t-elle à finir son roman, malgré les vindictes de certains ? Finira-t-elle par trouver une solution pour se sortir de la galère financière sans renoncer à la vie qu'elle s'est choisie ? Jusqu'où est-elle prête à faire des concessions ?

    Avons-nous tous été une Sophie dans notre vie ? Je ne sais pas, mais moi je l'ai été, et pas seulement parce que ma grand-mère me traitait de "Sophie" quand je faisais des bêtises lorsque j'étais petite (cf. La Comtesse de Ségur).
    Quiconque a un jour compté chaque sou un à un avant de faire ses courses et les jours sur le calendrier se retrouvera dans ce livre. Quiconque a déjà profité d'une sortie chez sa famille ou ses amis pour enfin manger un repas complet, équilibré et plein de saveurs se reconnaitra aussi. Quiconque a déjà regardé le plafond pendant des heures avec l'envie de pleurer, en se demandant comment s'en sortir, s'y retrouvera également.
    Pourquoi autant de monde pourrait-il se retrouver dans ce livre ? Parce que Sophie Divry met les mots justes sur la situation, elle ne cherche pas à la noircir ou à l'embellir. Elle analyse avec lucidité la situation, cédant parfois au découragement, meublant dans sa tête sa vie quand elle lui parait trop vide. Elle sait être cynique et acerbe, tout comme elle sait tourner en dérision certaines situations. La lecture de ce livre reste légère, on la suit pendant quelques semaines dans les méandres de sa vie.

    A aucun moment, Sophie Divry ne nous dépeint cette vie comme une vie triste, son personnage n'est pas déprimé. Comme tout humain il se laisse parfois abattre, mais cela ne dure pas, chaque fois il se relève et continue d'avancer. Il ne se plaint pas, il sait pourquoi il en est là, soit il l'accepte, soit il se prend en main pour se sortir de là. Tout simplement.

    Mais Sophie va au-delà de l'histoire de ce personnage, elle nous livre une chronique de notre société, soulevant un certains nombres de questions, comme celles que se posent ces hommes qui sont ses frères, sur l'avenir de leurs enfants, celle des rapports hommes/femmes... Des questions que beaucoup se posent.
    Elle nous invite à poser un autre regard sur notre monde de consommation, notamment de parce que le tiers de la population s'en trouve exclu. Elle propose de porter attention à chaque chose, à les considérer comme des petits cadeaux que l'on se fait et à en profiter en tant que tel, et non comme des choses dues ou banales. Un simple café ou un pain au chocolat peut devenir une vraie fête si on lui porte une réelle attention.

    Dans l'écriture de son texte, elle s'en laissé aller à des digressions, qu'elle a laissé dans le texte : collections de mots, des présentations de pages insolites, des changements de style de narration, des listes à n'en plus finir, etc... tous ces éléments comme autant de petites choses qui peuvent illuminer une vie, rendant vivants ce livre. Et le plus étonnant, c'est que ces "changements" semblent toujours coulés de sources, ils arrivent toujours au bon moment, durent juste ce qu'il faut, ce qui montre une grande dextérité littéraire chez l'auteure.

    Ce livre est un de mes coups de coeur de cette rentrée littéraire, il m'a touchée et amusée tout à la fois. C'est un livre que je prendrais plaisir à relire et que je vous conseille vraiment de lire ! Vous ne serez pas déçus.

     "N'avais-je pas payé honnêtement mon dû ? On ne pouvait rien me reprocher. Je payais mes factures. je mangeais pauvrement. Oui j'étais courageuse. La dèche déclenche souvent de l'orgueil - et je pense que tous ceux qui ont connu ça me comprennent - puisqu'on est capable de ne rien manger ou presque, on se croit au-dessus des autres, comme si la misère développait chez ses victimes une fierté idiote, mais nécessaire pour se battre contre elle. "

    "Les riches ne manquent pas de distractions ; ils ont un emploi du temps, des enfants, un travail, pas une minute à perdre. Déguster un café quand on est chômeur, cela devient une occupation précieuse. Dans un bar, on peut lire le journal, écouter les conversations, regarder travailler les serveurs, suivre la moitié audible d'une dispute au téléphone portable ... et se sentir, par ses saynètes, participer à un corps social vivant. Le snack où je m'étais réfugiée m'apporta cette sociabilité ordinaire, celle qui manque tant aux détenus au fond de leur cellule."

    "-En tout cas, si un jour tu veux me présenter quelqu'un, ça me ferait plaisir.
- C'est gentil, maman, mais ce n'est pas le cas.
- J'espère que ce n'est pas à cause de ta littérature. Tu sais les hommes n'aiment pas les intellectuelles, ils s'en méfient. C'est triste, mais c'est toujours comme ça.
- Pas toujours.
- On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre. Il faut lâcher tes bouquins de temps en temps."


    "[...] je n'aime pas les hommes qui ne rigolent jamais en faisant l'amour ; je crains les collectionneurs ; je me méfie de ceux qui aiment trop le jazz ; je ne pourrais jamais désirer un homme qui passe trois heures par jour devant un jeu vidéo ; je n'aime pas les faiseurs de chichis ; je me fatigue des bavards ; je n'aime pas les mauvais pères ; je n'aime pas les hommes qui restent silencieux pour faire croire à leur intelligence ; je ne suis pas particulièrement attirée par les beaux gosses ; [...]"

2 commentaires:

  1. ça m'a donné envie de le lire, merci pour cette critique !
    (petites coquilles ici : "Dans l'écriture de son texte, elle s'en laissé allée à des digressions, qu'elle a laissé dans le texte")

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  2. Il a l'air d'être trop bien cet OLNI ;) il va falloir que je le lise ...
    Merci pour ta critique

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