mardi 20 octobre 2015

Sur la scène intérieure - Marcel Cohen

Sur la scène intérieure, de Marcel Cohen

137 pages
Editions Gallimard, Collection Folio
Parution : mai 2015

4ème de couverture :
«Je sais bien que les objets familiers sont synonymes d’aveuglement : nous ne les regardons plus et ils ne disent que la force de l'habitude. Mais le coquetier, dans le placard à vaisselle, et ne serait-ce que de façon très épisodique, a eu bien des occasions de susciter quelques bouffées de tendresse à l’égard de Marie. Je me dis qu’on ne conserve pas un objet aussi modeste, et aussi défraîchi, pendant soixante-dix ans sans de sérieuses raisons.»




    Ce livre me faisait super envie depuis que je l'ai reçu. Rien qu'à lire la quatrième de couverture, il promettait de m'emmener loin, dans un autre temps, dans des souvenirs plein d'amour.
   Les inondations qui ont eu lieu dans le sud à la fin de l'été, ont repoussé sa lecture, car il en revenu détrempé. Heureusement, les livre Folio sont de bonne qualité : l'encre n'a pas déteint et le papier ne s'est pas désagrégé. Ouf !

    Ce livre est sous-titré : faits, et cela lui va très bien. En effet à travers ce texte, Marcel Cohen se lance à la recherche de sa famille disparue dans les camps de concentration lors de la seconde guerre mondiale. Il n'avait que quelques années lors du drame, et ce qui l'a sauvé ce jour-là, c'était d'être au parc avec la bonne. La bonne étant bretonne et catholique, elle n'arborait pas l'étoile jaune, et lui était trop jeune pour devoir la porter.
   Mais il se souvient ; il se souvient de petits éléments de la vie quotidienne, de petites anecdotes sur ses parents, de ses grand-parents, de parfums, d'objets et il nous les livre ici.
    Comme il le dit lui-même dans la préface , il n'a pas assez de souvenirs pour en faire tout un livre, et ce qu'il a pu apprendre sur sa famille par de tierces personnes, n'est pas suffisant non plus.
   Alors il a trouvé un compromis, il réalise des portraits, alternant les descriptions, les anecdotes rapportées par d'autres, et ses souvenirs. Tant et si bien, qu'au fil des portraits, c'est toute la vie de la famille qui se déroule devant nous, plus claire et passionnante que si il en avait fait un simple roman. Les liens familiaux en ressortent plus grands, renforcés par ces croisements à distance au travers des pages. C'est une famille soudée et pleine d'amour que nous présente Marcel Cohen, une famille dont il est fier de faire partie.
    Pour nous rendre le texte plus vivant et plus personnel, l'auteur y a joint des photos de chacun des membres de la famille. Ainsi que les photos des objets qui ont une symbolique particulière dans le texte. Ces annexes nous rendent le texte plus intime, et les personnages plus familiers.

   J'ai beaucoup aimé la plume de Marcel Cohen, la douceur qui se dégage de ses portraits. Il n'y a aucune haine qui transperce ce récit, non, il ne fait que déborder d'amour. Il n'y a pas de rancœur non plus, juste des faits et des souvenirs.
    Pour rédiger ce récit, il lui a fallu du temps, du temps pour se souvenir, puis du temps pour comprendre. Toute cette histoire a eu lieu pendant son enfance, lorsque l'innocence est encore là. Il y a des points qui sont restés marqués dans sa mémoire simplement parce qu'il ne les comprenait pas. Aujourd'hui, l'adulte qu'il est devenu a pu comprendre les choses, et ses souvenirs n'en ressortent que plus beau et plus débordants d'amour que jamais.

   J'ai trouvé amusant de lire ce livre peu de temps après Mr Gwyn, de Alessandro Baricco, car comme Mr Gwyn, Marcel Cohen se livre lui aussi à l'exercice du portrait à travers les mots, s'appuyant non pas sur le silence et la nudité de son sujet, mais sur son silence et son absence ; deux façons de faire ressortir l'essence d'un être, au travers des yeux de l'artiste.

   C'est un livre que je vous conseille, c'est un très beau portait de famille, qui nous apprend plein de petites choses, qui peuvent paraître anodines vu comme ça, sur le quotidien des familles juives pendant la seconde guerre mondiale. C'est un livre qui malgré le sujet triste, vous laisse avec une agréable sensation de bien être, comme si sa lecture avait redonné le sourire à l'enfant qu'était l'auteur dans les années 40 et que vous lui retourniez son sourire. C'est un très beau moment de partage, comme il est rarement donné d'en lire.

    Dans ces établissements, on ne faisait cours ni pendant les fêtes chrétiennes ni pendant les fêtes juives ou musulmanes. L'un de mes oncles m'expliquait que les élèves s'amusaient à compter et recompter les jours de congé pour savoir quelle religion valait le plus de vacances aux deux autres confessions. Le revers était des grandes vacances très courtes et des journées de travail très longues.

    Pour apprécier l'attachement des Juifs de Turquie à la France (ce fut vrai dans tout l'ex-Empire ottoman), il faut une remarque supplémentaire : la France, à leurs yeux, n'était pas seulement le pays de Racine, celui des Lumières et de la Révolution de 1789 accordant, la première en Europe, les droits civiques aux Juifs. Paradoxalement, c'était aussi la France de l'affaire Dreyfus.
   - Un obscur capitaine juif est accusé d'espionnage, estimait-on sur les rives du Bosphore. Personne ne sait s'il est coupable et la France est au bord de la guerre civile ! Presque partout ailleurs dans le monde, le capitaine aurait été fusillé après un procés sommaire, ou pas de procès du tout, et personne n'aurait entendu parler de lui.


   Mercado fut indigné qu'on ait pu retirer une enfant de l'école à quatorze ans pour en faire une bonne à tout faire chez lui. La tradition juive exige que l'on étudie, et que l'on aide ceux qui n'ont aucun moyen de le faire. la jeune bonne s'appelait Annette. Bretonne, elle venait tout droit de sa campagne et c'était son premier emploi. Mercado la fit immédiatement réinscrire à l'école. Sans doute Annette fut-elle la seule bonne à être logée, nourrie et payée pour être absente la majeure partie du jour. Ce qui ne l'empêchait nullement d'aider Sultana avant de se mettre à ses devoirs, comme l'aurait fait n'importe quelle fille de la famille.


1 commentaire:

  1. Merci pour la découverte, je ne connaissais pas et je dois dire que j'aime bien ce genre d'histoire. Du coup, je le note.
    Je trouve également la couverture très belle.

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