mardi 27 septembre 2016

La suture - Sophie Daull

La suture, de Sophie Daull

200 pages
Editions Philippe Rey
Parution : Août 2016


4ème de couverture :
    Alors qu'elle vient de perdre Camille, sa fille de seize ans, Sophie Daull se penche sur le passé de sa mère, Nicole, une femme mystérieuse, disparue elle aussi, il y a trente ans. Munie de maigres indices - quelques lettres et photos tenant dans une boîte à chaussures -, elle entreprend de déchiffrer les lieux et paysages où Nicole a vécu, les visages qu'elle a connus, et tente de reconstituer ainsi une existence troublante.
    A larges aiguillées joyeuses, poétiques ou bancales, l'auteure va coudre passé et présent, fiction et réalité, grand-mère et petite-fille, dans ce roman en forme d'enquête généalogique, qui vagabonde dans la France de l'après guerre jusqu'aux années 80. 
    Se dessine ainsi la figure de Nicole, dont la frêle beauté et la timidité intriguent, porteuse d'une énigme qu'elle semble elle-même ignorer, chahutée depuis l'enfance par les rudesses d'une vie sans ménagement. Nicole, que le lecteur débusquera avec émotion derrière ses larges lunettes et la fumée de ses Gitanes...


    Dans la vie de Sophie Daull, il y a deux grandes absentes : sa fille et sa mère. Dans son premier livre, Camille, mon envolée, elle nous raconte sa fille, la douleur de sa mort, le chemin de l'acceptation, la voie du deuil. C'est un livre fort, poignant et plein de sensibilité. L'avoir écrit semble avoir rendue cette mère plus forte, comme recomplétée. Mais il reste une autre blessure, un autre deuil, une autre morte à raconter : sa mère.
    Alors Sophie Daull a repris sa plume et à travers ce récit va essayer de nous raconter Nicole.
Mais, vite,survient une difficulté : comment parler d'une partie de la vie de quelqu'un que l'on n'a pas partagée et dont on ne nous a rien dit ? S'engage alors un formidable jeu de piste, où les mairies et les services d'état civils sont des points de repères.

    De sa mère, il ne lui reste pas grand chose. Ce petit bout de femme a été tué alors que Sophie n'était encore qu'une adolescente. L'enfance est trop courte pour se faire des souvenirs, quelques années à peine. Mais il lui reste des chansons, des images, mais aussi beaucoup de silences et de questions esquivées. Et pour ceux qui ne le savent pas : le silence est lourd à porter face aux questions.

    Sophie aurait aimé pouvoir nous raconter la vie de sa mère, n'être que la main qui trace sur le papier les mots entendus auparavant. Mais il lui faudrait être plus qu'un scribe : il va lui falloir composer.
    Tâche difficile : comment composer sans trahir ? sans extrapoler ?
    Point de départ : une boîte à chaussures où sont rangées de vieilles photographies, des analyses de sang, quelques bulletins de salaire et une poignée de cartes postales. Mais aussi une date et un lieu de naissance.
    Les indices ne sont pas suffisant, Sophie Daull a besoin de se rendre sur le terrain, essayer de marcher dans les pas de sa mère, ou de ceux qu'elle peut imaginer avoir été les siens. En quelques décennies les choses ont beaucoup changées, mais on peut toujours chercher le squelette du passé derrière la modernité actuelle des lieux.
    En cheminant ainsi, elle va pouvoir remettre les éléments à leur place, comprendre le sens de certaines choses... Et ce n'est pas seulement sa mère qu'elle va chercher à comprendre, mais aussi sa grand-mère et sa tante, des femmes qui comme sa mère ont eu des choses à cacher. C'est un secret qu'il va falloir révéler au grand jour, comprendre et accepter, un secret qui explique bien des choses et bien des silences.
     Ce texte est loin de raconter Nicole, il ne nous fait part que d'une petite partie de ce qu'elle a pu vivre, de ce qu'elle a pu être. Les nœuds qui ont été défaits, les voiles qui se sont levés, vont avoir besoin de la complicité du temps pour que l'auteur puisse prendre toute la mesure de l'évènement qui a frappé sa mère. En toute chose il faut avancer une étape à la fois.

    Ce que j'ai beaucoup apprécié, c'est que Sophie Daull se livre entièrement, sans faux-semblants. Elle ne cherche pas à s'améliorer, à se donner le beau rôle... on la sent intègre, imparfaite avec des défauts qu'elle ne cherche même pas à cacher. On sent la fragilité de cette femme à travers ses mots, mais on sent également sa grande force.
    Les mots ancrent. Les psys ne conseillent-ils pas de poser ses idées, ses interrogations, sa tristesse ou sa rage sur le papier ? Pour y voir plus clair, pour se délester du trop plein, pour restructurer les choses, pouvoir se reconstruire en enlevant l'excédant et en complétant les vides ?
C'est d'une certaine façon, ce que fait ici l'auteur : elle se complète en racontant sa mère, elle complète la Vie, en rendant vivante aux yeux des lecteurs celle qui n'est plus.

   C'est un roman couleur sépia. Derrière les mots se cachent une certaine poésie, de la nostalgie mais aussi une grande envie de vivre.
    Merci à Sophie Daull de partager avec nous les femmes de sa vie et de leur redonner vie à travers ses mots.
C'est une auteur qui sait me toucher dans sa façon d'écrire et que je lis avec plaisir.

    Après la soupe, tout le monde ira se coucher tôt, dans le souci de faire durer la trêve, dans l'effroi de la semaine à venir... L'armistice du dimanche soir a le même goût douteux que celui signé par la France dans les semaines précédentes.

    Cette année, Nicole aurait son certif'. Elle se l’était juré. Au café, sur le faubourd de Montanglaust, ne pas avoir d'instruction passait inaperçu, ça rassurait même. Ici, au Blanc, les filles ont de l'éducation, du savoir, même un tout petit peu ; et le savoir engendre des discussions, c'est-à-dire le contraire de vociférations d'ivrognes ; et les discussions permettent de mettre au jour des affinités, c'est-à-dire le contraire de rapports forcés ; et les affinités font voir la vie en plus grand. Plus grande la vie.
    Alors le certificat d'études, ce serait cette année. Juin 1953.

    L'artère principales, le faubourg de France, a connu, durant sa longue vie pavée, à la fois les escarpins de Nicole, mes mocassins d'écolière et les baskets de Camille. Jamais ensemble cependant... Cette rue est comme la nervure selon laquelle nous raccommoder.

    Puis viendra le temps des colères et des silences au goût d'amanite.
    J'ai 12 ans.
    Les foyers français sont équipés à 79% d'appareils de télévision, les voisins ont désormais le leur. Ca fait longtemps qu'on a marché sur la Lune, et Francis et Nicole en explorent douloureusement les cratères !, Une fine suie noire nécrose les dîners où la télé est toujours allumée. La réunion devant le poste n'est plus une communion : le vin de messe est devenu pain quotidien, un bruit de fond. En payant la redevance on achète une digue contre les scènes de ménage. Qui cède souvent.

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