jeudi 15 septembre 2016

Monsieur l'écrivain - Joachim Zelter

Monsieur l'écrivain, de Joachim Zelter

128 pages
Editions Grasset
Parution : Mai 2016

Présentation de l'éditeur :
    « Selim Hacopian a écrit un livre. » Un écrivain renommé reçoit un beau jour ce curieux mail, envoyé par un drôle de personnage qui s’exprime à la troisième personne et souhaite que l’on « jette un coup d’euille » à ses écrits. L’écrivain refuse poliment, mais quelques jours plus tard, l’inconnu l’interpelle au détour d’une rue et, à coup de « Monsieur l’Ecreuvain », finit par obtenir gain de cause. L’écrivain s’engage alors, sans le savoir, dans une entreprise littéraire de longue haleine, à laquelle il va se consacrer corps et âme.
    Entre les étagères poussiéreuses de la bibliothèque, autour d’un café ou dans le minuscule appartement de Selim, il apporte des corrections, prodigue des conseils, souffle des idées de nouvelles au jeune homme (lui qui a vécu en Égypte, pourquoi ne pas écrire sur les chameaux ?) qui, bien vite, est contacté par une prestigieuse maison d’édition.
    Le succès d’Hacopian grandit à mesure que celui de l’écrivain, ayant délaissé ses propres romans, décline. Il lui vient alors une idée : pourquoi n’utiliserait-il pas Selim pour publier sa propre prose ?


    Asseyez-vous à votre bureau, bien calé dans votre fauteuil, les doigts sur le clavier ou tenant votre stylo, relisant les lignes et les lignes de texte que vous venez d'écrire. Jetez un oeil à la bibliothèque en face de vous, et admirez les quelques volumes bien alignés qui portent tous votre nom. Souriez à cette douce pensée : "je suis un écrivain reconnu , je vis de ma plume !" Ça y est ? Vous y êtes ?
    Imaginez un jour que vous receviez un message d'un fan qui veut vous soumettre son texte, et auquel vous répondez comme toujours, que non ce n'est pas possible. Imaginez que ce fan n'en reste pas là ... et qu'il finit par se retrouver sur votre route en chair et en os ... Vous ne pouvez pas décemment le repousser : c'est un fan après-tout.
    Il a apporté votre livre et vous parle de vos autres textes. Alors docile, vous acceptez de prendre un café avec lui... et l'entretien qui ne devait durer que quelques minutes s'étirent sur de longues heures, le texte que vous aviez refusé de lire finit par sortir comme par enchantement du sac à dos, et vous acceptez d'y jeter un oeil. Les deux même, car vous êtes grand prince.
    Cette petite pause au café se renouvelle, une fois, deux fois, vous tentez d'y échapper, mais vous y revenez sans cesse. Le fan vous énerve autant qu'il vous fascine, une part de vous s'exprime à travers lui, et sa présence vous conforte dans le fait qu'il n'est personne et que vous êtes connu.
   Et puis un jour tout bascule, il sort de l'anonymat, ses textes sont un succès et vous réalisez que vous n'êtes pas totalement étranger à ce succès. Vous avez envie de vous l'accaparer et de montrer que vous aussi vous pouvez le faire, mais il n'en est rien. Vous n'êtes pas cet homme qui vous paraissait si naïf et qui a su enchanter les lecteurs. Vous n'avez pas son vécu, son histoire, son imagination ... Vous n'êtes que vous. Cela vous perturbe, vous n'arrivez plus à écrire, vous vous sentez perdu ... 

    Dans ce livre Joachim Zelter évoque le métier d'écrivain, le monde de l'édition, mais il va surtout explorer la nature humaine et chercher à comprendre ce qui peut faire un écrivain et ce qui peut faire un succès littéraire. Le monde de l'édition est impitoyable et peut sembler injuste, mais ce n'est pas l'éditeur qui décide le succès d'un texte. Bien sûr les budgets de communication mis en place aide grandement à la diffusion, ainsi que la notoriété de l'auteur, mais ce sont avant tout les lecteurs qui font le succès d'un livre.
    Et ce que semble oublier cet écrivain plutôt prétentieux et un peu trop sûr de son succès, c'est qu'il y a tout type de lecteurs et qu'il faut donc tout type de littérature. Se comparer à ce fan devenu auteur est d'une stupidité sans nom : jamais ils ne pourront écrire de textes semblables : chacun étant unique. C'est au lecteur de choisir quelle lecture l'attire et l'enchante, et ce n'est pas parce que l'on apprécie un auteur que l'on rejette tous les autres. Rare doivent être les lecteurs exclusifs !

   Les deux personnages sont forts, et tous les deux se disputent notre sympathie. Malgré le fait que le texte soit rédigé à la première personne, notre amitié passe de l'un à l'autre, pour parfois n'être pour personne. Chacun est énervant à son tour, cela donne une lecture assez cocasse.
    Joachim Zelter sait tenir son lecteur en alerte en permanence dans un texte sans réelle action, sans déroulement du temps précis, ce qui, j'ai trouvé est une belle prouesse.

   C'était une lecture agréable, parfaite avant d'attaquer la rentrée littéraire et son lot de surprises.


    Et c'est là qu'il avait découvert mes livres. Il les avais découverts en dépoussiérant les étagères. Et il avait commencé à les lire. Avant même la fin de son travail. Assis derrière des étagères. Ou bien aux toilettes. Puis il avait emprunté les livres et les avait emportés chez lui. Parce qu'il avait, dit-il, une passion pour les livres. Il en parlait comme d'amis. Il ne parlait pas seulement en ces termes de mes livres à moi, mais aussi d'autres livres. Il les traitait comme des alliés ou des copains, des créatures humaines avec lesquelles on se divertit, on se querelle ou l'on part en voyage.

    Il voulait absolument savoir tout cela, alors que moi, j'avais juste envie de boire un café et de lire un journal, juste et simplement lire un journal, tandis que lui n'arrêtait pas de poser des questions.

    Il n'avait rien d'un véritable écreuvain. Ce qu'il voulait, en réalité, c'était le calme et la paix d'un écrivain. Ou ce qu'il considérait comme le calme et la paix d'un écrivain. Peut-être imaginait-il aussi les après-midis au café avec moi, ou bien des étagères pleines de livres qu'il souhaitait lire en toute quiétude au fil des ans. Il voulait - disait-il - un petit coin d'existence paisible, sans cris et sans bruit. Quelle que fût la manière dont il se représentait le métier d'écrivain, c'était en fin de compte sous la forme d'une pure contemplation.
 

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