jeudi 22 septembre 2016

Patients - Grand Corps Malade

Patients, de Grand Corps Malade

164 pages
Editions Don Quichotte
Année de parution : 2012

4ème de couverture :
    "J'ai envie de vomir.
J'ai toujours été en galère dans les moyens de transport, quels qu'ils soient. J'ai mal au coeur en bateau, bien sûr, mais aussi en avion, en voiture... Alors là, allongé sur le dos à contresens de la marche, c'est un vrai calvaire.
Nous sommes le 11 août et il doit bien faire 35 degrés dans l'ambulance. Je suis en sueur, mais pas autant que l'ambulancier qui s'affaire au-dessus de moi ; je le vois manipuler des tuyaux, des petites poches et plein d'autres trucs bizarres. Il a de l'eau qui lui glisse sur le visage et qui forme au niveau du menton un petit goutte-à-goutte bien dégueulasse.
Je sors tout juste de l'hôpital où j'étais en réanimation ces dernières semaines. On me conduit aujourd'hui dans un grand centre de rééducation qui regroupe toute la crème du handicap bien lourd : paraplégiques, tétraplégiques, traumatisés crâniens, amputés, grands brûlés...
Bref, je sens qu'on va bien s'amuser."


    Je ne sais plus où, ni comment j'avais entendu parler de ce livre, mais je sais qu'à un moment donné j'avais eu envie de le lire. Ne l'ayant, jusque là pas croisé sur mon chemin, j'étais passé à autre chose. Sauf que l'autre jour, en passant à la bibliothèque, il était là, posé à plat sur une étagère, afin d'attirer l'attention ; et du coup il a eu toute la mienne.
    Je me suis même empressée de finir ma lecture en cours, pour pouvoir le commencer. J'avais un week-end chargé en perspective, mais peu importait, il fut un bon compagnon de route.

    Je suppose que si je vous dis Grand Corps Malade, cela doit résonner quelque part dans votre cerveau, et doivent vous venir à l'esprit la silhouette d'un gars très grand, à la démarche saccadé puisqu'il s'appuie sur une béquille, et au timbre de voix très grave. Dans la vie, il est artiste. Vous avez sans doute déjà entendu un ou deux de ses slams, si ce n'est pas le cas, je vous invite à chercher sur le net, car ses textes sont superbes, débordant de force de vivre et aux mots vrais et piquants.

    Grand Corps Malade, Fabien de son prénom, n'est pas né avec son handicap. C'est lors d'un plongeon trop haut, dans une piscine pas assez pleine, qu'il se déplace une vertèbre cervicale. Ses médecins sont peu optimistes quant à ses chances de remarcher un jour. Lui, qui était un grand sportif, voit sa vie basculer.
    Il se retrouve allongé, bloqué dans son propre corps. Il va quitter le service de réanimation de l'hôpital où il est resté plusieurs semaines, pour un centre de rééducation, où le personnel soignant doit l'aider à accepter et à vivre avec son handicap. Mais Fabien ne l'entend pas de cette oreille, il y a une chance, une minuscule chance pour qu'il récupère quelques unes de ces capacités, et ainsi de l'autonomie ; alors il va se battre.
    C'est de ce moment dont parle son livre ; de ces quelques mois en centre de rééducation. Il nous ouvre les portes d'un monde fermé, qui fait peur. Pourquoi d'ailleurs ? Ce n'est pas un mal contagieux. Mais voir le handicap, nous ramène à notre propre vulnérabilité et c'est ce qui nous effraie. Un handicapé, qu'il soit paraplégique ou tétraplégique,souvent, n'est pas "beau" ou "agréable" à regarder, il a besoin d'assistance pour les gestes du quotidien, mais il n'en reste pas moins une personne qui lutte chaque jour pour accomplir chacun de ces gestes. Ce combat peut nous paraître insignifiant pour nous, valide, mais porter une fourchette à sa bouche, peut représenter une véritable lutte et un réel accomplissement pour une personne handicapée. C'est de tout cela que nous parle Fabien à travers son texte. Et pour le faire, il n'a pas choisi la voix des longs discours, il ne se fait pas moralisateur. Au contraire, il reste humble et parle simplement. Pourtant, il aurait des raisons de s'envoyer des fleurs, car c'est un véritable exploit qu'il a réalisé dans ce centre : se remettre debout, reprendre le dessus sans se décourager, réessayer encore et encore.
    Il nous parle simplement des petites victoires accomplies, de ces étapes importantes qu'il a su passer, mais il ne crie jamais victoire, il ne fanfaronne pas. D'autant qu'au centre, il prend soin de ne pas décourager ceux de ses camarades dont l'état ne pourra jamais s'améliorer, mais qui doivent malgré tout avancer et garder le moral.
    Au final, il parle peu de lui, il nous raconte surtout les autres : leur vie, leur état d'esprit, leur soutien, leur façon d'être,... par petites brides. Certaines figures reviennent plusieurs fois, au fil des chapitres, d'autres ne sont que fugitives. Mais à chaque mot, il nous montre la personne derrière le handicap, jamais il ne s’apitoie: il n'y a pas le temps pour cela.

    Ce livre, qui se pourrait dur, ne l'est en aucune façon. Tout un chacun peut le lire, un jeune lecteur n'y trouvera rien de choquant. C'est une ode à la vie, un tableau de vie quotidienne, où il n'est question que d'hommes et de femmes avançant dans la même direction dans un même but.

    Je suis contente d'avoir pu le lire, j'ai aimé l'écriture simple et pleine de l'artiste. J'ai aimé le naturel de ses phrases, et je suis certaine qu'assis à une terrasse de café, il ne nous raconterait pas autrement ce moment. Quand les mots viennent du cœur, il est impossible de ne pas le ressentir.
    Il parle sans détours, levant le voile sur des questions tabous, il nous livre en quelques lignes le déroulement de la journée d'un tétraplégique sans oublier aucuns de ces moments « triviaux » pourtant nécessaire à notre survie.
    C'est un témoignage qui se veut ouvert d'esprit, simple et honnête. Grâce à lui, le lecteur peut découvrir ce que vit un handicapé, et il répond à des questions que chacun se pose sans oser les verbaliser.

    Je remercie cet artiste d'avoir pris le temps de poser ces mots sur le papier, pour informer le plus grand nombre. Merci de nous avoir fait connaître ces hommes et ces femmes qui peuplaient le centre, merci de leur avoir donné une vie et une âme aux yeux de ses lecteurs.
    Grand Corps Malade est un grand poète, qui sait manier les mots et qui saura toujours me toucher droit au cœur.

    Quand tu es dépendant des autres pour le moindre geste, il faut être pote avec la grande aiguille de l'horloge. La patience est un art qui s'apprend patiemment.

    Dans sa chute, il ne parvient pas à se redresser et ne voit pas où sont passée ses jambes.
Reprenant mes esprits, je lui réponds : « Ben, y en a une sur le lit et une autre qui pend sur le côté ; fais gaffe de pas glisser. Bouge pas, j'appelle un aide-soignant. »
Elle est marrante aussi, cette phrase réflexe : « Ne bouge pas. » Dans notre situation, elle est complètement inappropriée, mais on la sort quand même à tout bout de champ.
C'est comme quand tu dis à un aveugle : « On se voit demain. »

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