jeudi 13 octobre 2016

Le liseur du 6h27 - Jean-Paul Didierlaurent

Le liseur du 6h27, de Jean-Paul Didierlaurent

218 pages
Editions Au diable Vauvert
Parution : mai 2014

4ème de couverture :
   «Peu importait le fond pour Guylain. Seul l'acte de lire revêtait de l'importance à ses yeux. Il débitait les textes avec une même application acharnée. Et à chaque fois, la magie opérait. Les mots en quittant ses lèvres emportaient avec eux un peu de cet écoeurement qui l'étouffait à l'approche de l'usine.» 
    Employé discret, Guylain Vignolles travaille au pilon, au service d'une redoutable broyeuse de livres invendus, la Zerstor 500. Il mène une existence maussade mais chaque matin en allant travailler, il lit aux passagers du RER de 6h27 les feuilles sauvées la veille des dents de fer de la machine...
    Dans des décors familiers transformés par la magie de personnages hauts en couleurs, voici un magnifique conte moderne, drôle, poétique et généreux : un de ces livres qu'on rencontre rarement.


    Ce livre, je ne sais combien de fois il m'a été conseillé, combien de fois j'en ai entendu du bien ; donc lorsque je l'ai croisé à la bibliothèque, je n'ai pas pu m'empêcher de le prendre, et pire : de plonger dedans aussitôt ma précédente lecture terminée.
    J'en avais entendu parlé mais je ne savais pas de quoi il parlait. Une fois on avait bien mentionné que c'était l'histoire d'un jeune homme qui lit des morceaux de livres dans le métro, mais rien de plus. Et j'avoue ne même pas avoir pris le temps de lire la quatrième de couverture avant d'entamer ma lecture. D'ailleurs je ne l'ai parcourue qu'au moment de l'insérer en en-tête de cet avis. Et au final, elle ne m'en aurait pas plus appris que ce que je savais déjà...

    Du coup comment vais-je faire pour vous parler de ce livre sans vous en dévoiler trop ? Sans vous gâcher la surprise ? Car oui, ce livre est plein de rebondissements, de faits inattendus, d'histoires enchassées, de personnages hauts en couleurs et d'alexandrins. Peut-être même qu'il pourrait il y avoir une petite pointe d'amour, histoire d'assaisonner tout ça...

     Ce roman est une petite bouffée d'air frais, de légèreté, de patience, de douce folie, voir même de gourmandise. La vie de Guylain est simple, mais sa nature généreuse et loyale la lui rendent belle et pétillante. Il sait faire attention aux autres, mais il sait aussi se faire discret. Lui qui a souffert toute sa vie à cause de son nom a trouvé refuge dans l'effacement et les mots. Il sait voir les être au-delà des apparences et des handicaps. Il n 'attend rien des autres. Il vit dans le présent, accroché à des petits bonheurs quotidiens qui lui donnent la force et l'envie d'avancer.

    Ce roman est une sorte de conte moderne, avec un prince, un dragon, une marraine la fée,  des épreuves et peut-être même un donjon avec une princesse. Mais ici contrairement aux contes de fées, rien n'est sûr, et l'histoire pourrait bien n'aboutir à rien. Mais comme qui tente rien n'a rien, Guylain va tenter l'aventure. Sait-on jamais, peut-être cela le mènera-t-il quelque part.

    Mais il n'est pas question que de choses légères dans ce roman. Le handicap et les accidents du travail y sont abordés, ainsi que les duretés du travail et la tyrannie patronale. Pourtant les petits bonheurs de la vie reviennent sans cesse pour adoucir les maux, comme le soleil revient toujours après la pluie.

    J'ai aimé le personnage de Yvon, loufoque, mais fidèle à lui-même, qui dans l'ingratitude de son emploi arrive à trouver le moyen de vivre tout de même sa passion. C'est une figure rafraîchissante, qui fait du bien ; Guiseppe et son idée fixe, les mots du 1.doc et tous les autres, Josy et Julie et leur façon de voir le monde, les deux sœurs aux cheveux blanc-violet et Guylain bien sûr. Tous ces personnages que l'auteur sait nous rendre proche et attachant, et que l'on pourrait croiser à n'importe quel coin de rue.

    J'aime beaucoup la plume de Jean-Paul Didierlaurent, que j'avais déjà eu le plaisir de découvrir dans son recueil de nouvelles Macadam. C'est une plume poétique, légère qui maîtrise parfaitement la langue française. Il possède une imagination plein d'humour et ancrée dans la réalité des choses. J'ai hâte de mettre la main sur son dernier livre, qui je l'espère sera aussi bien que les deux précédents !

    Le liseur du 6h27 est un roman à lire absolument. Il ne saurait vous décevoir !
Voilà, j'espère sans en avoir trop dit, vous avoir donner envie de lire.


    Il se surprenait  de plus en plus souvent à parler à son poisson. Guylain se plaisait à croire que le carassin l'écoutait, là, suspendu au centre de la sphère, toutes ouïes ouvertes sur le récit de sa journée. Avoir pour confident un poisson rouge impliquait de ne rien attendre d'autre de lui que cette écoute passive et silencieuse, même s'il croyait déceler dans le filet de bulles qui sortait de sa gueule un début de réponse à son questionnement.

    C'était bien un nouveau. Ça leur faisait souvent ça la première fois. L'alexandrin les prenait de court. Les rimes leur tombaient dessus, les asphyxiant aussi sûrement qu'une volée de coups portée en plein plexus. "C'est droit comme une épée, un alexandrin, lui avait un jour expliquer Yvon, c'est né pour toucher au but, à condition de bien le servir. Ne pas le délivrer comme de la vulgaire prose. Ça se débite debout. Allonger la colonne d'air pour donner souffle aux mots. Il faut égrener les syllabes avec passion et flamboyance, le déclamer comme on fait l'amour, à grands coups d'hémistiches, au rythme de la césure. Ca vous pose un comédien, l'alexandrin. Et pas de place à l'improvisation. On ne peut pas tricher avec un vers de douze pieds, petit."
   A 59 ans, Yvon était passé maître dans l'art de les décocher. 


    14 717, c'est tout en os, un nombre pareil. Ca vous expose sa maigreur sans détour, vous agresse la rétine de l'aigu de ses angles. Quoique vous fassiez, une fois exposez sur le papier, ça reste toujours une suite de droites fracturées. Il suffirait d'une seule faïence de plus ou de moins pour habiller ce nombre antipathique d'un début de rondeur avenante.

1 commentaire:

  1. Je l'ai beaucoup aimé aussi et l'ai conseillé à plusieurs personnes qui en ont été enchantées ! J'ai particulièrement apprécié la plume de l'auteur et l'originalité du thème.

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