vendredi 27 janvier 2017

Les règles d'usage - Joyce Maynard

Les règles d'usage, de Joyce Maynard

472 pages
Editions Philippe Rey
Parution : Septembre 2016
Traduit de l'américain par Isabelle D. Philippe

4ème de couverture :
    Wendy, treize ans, vit à Brooklyn. Le 11 septembre 2001, son monde est complètement chamboulé : sa mère part travailler et ne revient pas. L'espoir s'amenuise jour après jour et, à mesure que les affichettes DISPARUE se décollent, fait place à la sidération. Le lecteur suit la lente et terrible prise de conscience de Wendy et de sa famille, ainsi que leurs tentatives pour continuer à vivre.
    Le chemin de la jeune fille la mène bientôt en Californie chez son père biologique qu'elle connaît à peine - et idéalise. Son beau-père et son petit frère la laissent partir le cœur lourd, mais avec l'espoir que cette expérience lui sera salutaire. Assaillie par les souvenirs, Wendy est tiraillée entre cette vie inédite et son foyer new-yorkais qui lui manque. Elle délaisse les bancs de son nouveau collège et, chaque matin, part à la découverte de ce qui l'entoure, faisant d'étonnantes rencontres : une adolescente tout juste devenue mère, un libraire clairvoyant et son fils autiste, un jeune à la marge qui recherche son grand frère à travers tout le pays. Wendy lit beaucoup, découvre Le Journal d'Anne Frank et Frankie Addams, apprend à connaître son père, se lie d'amitié avec sa belle-mère éleveuse de cactus, comprend peu à peu le couple que formaient ses parents - et les raisons de leur séparation. Ces semaines californiennes la prépareront-elles à aborder la nouvelle étape de sa vie ? Retournera-t-elle à Brooklyn auprès de ceux qui l'ont vue grandir ?
   Émouvante histoire de reconstruction, Les règles d'usage évoque avec brio la perte d'un être cher, l'adolescence et la complexité des rapports familiaux. Un roman lumineux.


    Il y a des livres dont il est difficile de parler tant il nous touche au plus profond de notre être. Pour moi ce livre en fait partie. Combien de fois me suis-je assise devant mon clavier pour mettre des mots sur cette lecture, combien de fois ai-je abandonné à peine quelques lignes plus tard.
    Les règles d'usage, est un livre qui a besoin de temps pour cheminer en nous, pour nous éveiller et nous faire grandir. C'est un livre lumineux, riche, qui fait du bien. il nous réconcilie avec la vie, il nous donne envie de la croquer à pleines dents, d'aller de l'avant et de dire à nos proches que nous les aimons.
C'est un livre à fleur de coeur ; rien que d'en relire des passages les larmes me montent aux yeux. L'auteur, tout en restant simple dans son écriture, nous bouleverse ; nous rions, nous pleurons, nous hésitons avec Wendy.

    Je pense que ce livre peut se ranger dans la catégorie des livres initiatiques, pour adolescents ou non. Il fait partie de ces romans où il est facile de s'identifier au personnage principale, et qui donne l'impression au lecteur qu'ils se comprennent l'auteur, le personnage et lui.
    L'adolescence, c'est ce moment difficile où l'on sort de l'enfance, où le jeune prend conscience du monde qui l'entoure, le moment où il s'y frotte, où il s'y blesse, où il se perd. Ses repères changent, l'innocence et le rêve ne le protègent plus. Pour certains, ce passage se fera dans la douceur, sans heurts et sans drame ; mais d'autres ne seront pas épargnés par le sort, et il leur faudra piocher au plus profond d'eux-même la force de lutter.
     C'est ici le cas de Wendy, dont la maman ne rentrera jamais à la maison avec pour seule explication : qu'elle est allée comme chaque jour travailler au Wall Trade Center, mais que ce jour-là deux avions ont percutés celles-ci, les réduisant à néant, tout comme les centaines de personnes qui s'y trouvaient ce jour-là.
    Le 11 septembre 2001, il y a eu des centaines de Louie et de Wendy qui attendaient que leur maman rentre à la maison le soir, des centaines de Josh qui guettaient l'arrivée de la femme qu'ils aiment, des centaines de frères, soeurs, parents, amis, épouses, ... qui attendaient le retour d'un être cher.
     Comment réagir dans l'attente, le flou, les échos des médias ? L'incertitude est partout, l'espoir devient dévorant. A partir de quand l'abandonne-t-on ? A quel moment est-il acceptable de se raisonner ? Comment vivre après ça ? Comment survivre à ce sentiment d'insécurité permanente pour soi et pour les autres ? Comment accepter que les derniers mots prononcés n'aient pas été des mots d'amour ? Comment cohabiter avec le souvenir ?
    Wendy, 13ans, son demi-frère Louie et son beau-père sont confrontés à toutes ses questions, et chacun à sa façon va déclencher des mécanismes de survie, pour se protéger et pour ne pas sombrer, pour ne pas entrainer les autres dans sa douleur.

    Ne serait-ce pas là l'occasion de partir chez ce père qu'elle aimerait tant mieux connaître ? Prendre de la distance, du recul c'est une façon saine de se concentrer sur son deuil, et se reconstruire. Et ce père, pourtant absent, l'a bien compris. Il donne sa pleine confiance à sa fille, et la laisse venir à lui.
    Wendy aura la chance de rencontrer Carolyn, Violet, Todd, Alan et son fils, autant de personnes qui sauront lui apporter de l'affection et de l'écoute, car elle les a simplement laissé rentrer un petit peu dans sa vie.
    L'humain a besoin des autres pour avancer, pour vivre, pour grandir et pour guérir. Il ne faut jamais refuser une main tendue ou refuser de la tendre ; car c'est ainsi que l'on avance dans la vie. Un bonjour, une phrase échangée, un sourire, peuvent être une planche de salut.

    Ce livre se dévore, commencé le matin, je n'ai que difficilement pu le lâcher dans la journée, tant et si bien que le soir j'en tournais les dernières pages. Joyce Maynard sait nous entraîner au fil des pages, nous tenant en haleine, attisant notre curiosité, jouant avec nos sentiments sans jamais faiblir. Et lorsque nous reposons le livre, s'est sans regrets, car elle nous a tout donné, elle nous a apporté une fin satisfaisante, elle nous a nourri, a abreuvé notre esprit de questions, nous a poussé en avant et nous a donné envie de vivre encore plus grand.

     Ce roman est une de mes plus belles lectures de 2016, tant par le style, l'histoire que tout ce qu'elle m'a apporté. C'est un roman bouleversant mais optimiste et lumineux comme je les aime. Je ne peux donc que vous en conseiller la lecture.

    Tu crois qu'on pourrait noyer notre chagrin dans ce délice si on en mangeait assez ? lui demanda-t-il.
Elle étudia sa cuillère.
Pas assez de crème chantilly dans le monde, hein, Wen ?


    On a envie de laisser tomber, reprit-il dès qu'il put parler. Sauf qu'il faut continuer. Il faut se lever le matin et verser des céréales dans les bols. On continue à respirer, qu'on le veuille ou non. Personne n'est là pour t'expliquer comment c'est supposé marcher. Les règles d'usage ne s'appliquent plus.

    En septembre, tout ce qu'elle aimait - les chansons à la radio, les fringues, les parfums de glace et les races de chiens, les tas de feuilles, les grand-huit et le roller, les mangas, les sushis, le shopping, la clarinette, jouer dans les vagues à Nantucket avec son frère - avait fondu comme neige au soleil. Pas disparu peut-être, sauf que c'était presque pire : tout était toujours là, mais dépouillé de sa capacité à donner du plaisir. De même qu'une soupe où il entre tant d'ingrédients qu'à la fin elle n'a plus de goût, comme ce qui arrive quand on mélange de magnifiques couleurs de peintures et que, au final, le résultat est brun.

     Elle n'était pas moins triste, de fait elle l'était peut-être davantage. Mais elle revivait.

    Autrefois, Wendy croyait qu'il y avait un ensemble de règles dans la vie, dont la principale était que certaines choses, comme sa famille et le monde où l'on vivait, ne devaient jamais changer. Ses parents étaient aussi indissociables du paysage que les lions flanquant le perron de la Bibliothèque municipale de New York ou - elle aurait pu vraiment y penser en ces termes avant - les tours jumelles au bas de Manhattan. Le fait que votre mère air purement et simplement disparu, et que votre père, votre géniteur que vous connaissez à peine, vous emmène quelque part à cinq mille kilomètres de distance pour découvrir une vie complètement nouvelle avec lui était aussi impossible que renvoyer la pluie dans le ciel.

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