jeudi 2 février 2017

Dans les forêts de Sibérie - Sylvain Tesson

Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson

290 pages
Editions Gallimard, Collection Folio
Parution : Avril 2013

4ème de couverture :
    Assez tôt, j’ai compris que je n’allais pas pouvoir faire grand-chose pour changer le monde. Je me suis alors promis de m’installer quelque temps, seul, dans une cabane. Dans les forêts de Sibérie. J’ai acquis une isba de bois, loin de tout, sur les bords du lac Baïkal.
    Là, pendant six mois, à cinq jours de marche du premier village, perdu dans une nature démesurée, j’ai tâché de vivre dans la lenteur et la simplicité. Je crois y être parvenu.
    Deux chiens, un poêle à bois, une fenêtre ouverte sur un lac suffisent à l'existence.
    Et si la liberté consistait à posséder le temps ?
    Et si la richesse revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence - toutes choses dont manqueront les générations futures ?
    Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.


    Trop de mouvement tue le mouvement. Sylvain Tesson grand voyageur et explorateur en prend conscience. Alors qu'il chercher un point de chute où poser ses valises pour quelques temps, c'est tout naturellement qu'il repense à son bref passage au bord du lac Baïkal quelques années auparavant. Où se retirer du monde, au calme, s'accorder le droit à l'immobilité mieux que là où le froid et la glace fige tout pendant de longs mois ?
    C'est l'occasion pour lui de se reconnecter à lui-même, à la nature et à apprendre à aimer la routine et la simplicité du quotidien. A-t-on vraiment besoin de courir sans cesse après le temps ? de se donner des emplois du temps à rallonge au point de ne plus être chez soi que pour dormir ? C'est ce que lui offre sa vie en métropole. Là, seul, dans sa cabane il devra faire face à lui-même, trouver la motivation en lui pour accomplir chaque jour les mêmes gestes : allumer le feu, puiser de l'eau au trou de glace, couper le bois... et ce, malgré le froid et l'inconfort. Ce sont ces gestes simples du quotidien qui sauvent les hommes du Baïkal.

     Pour supporter la solitude et se supporter soi-même, il faut avant tout s'aimer. Il n'y a pas de place pour la dépression ou la dévalorisation de soi.
     Ton corps et ton esprit sont tes outils du quotidien, tu dois apprendre à les apprécier, à en prendre soin et à les respecter, il n'y a que sur eux que tu peux compter.

     Un séjour de six mois dans une cabane au bord d'un lac gelé se prépare minutieusement. Sylvain Tesson s'est prévu de la lecture pour nourrir son esprit et se stimuler, et des cigares, juste pour le plaisir. Il serait une erreur de ne penser qu'aux côtés pratiques d'un tel séjour. Si un bon équipement et une bonne gestion de son alimentation est impératif, se serait une erreur d'oublier les petits plaisirs de la vie.

     Ce texte nous est présenté comme les notes qu'il a inscrites dans son carnet de bord au jour le jour, mais il ne nous est pas précisé si elles ont été retravaillée ou non. Pour moi ce ne sont pas des notes réellement personnelles, on sent qu'elles sont rédigés à destination d'un public, vouées à être lues par des milliers de curieux avides de savoir comment un homme peut vivre six mois dans de pareilles conditions. Cela se sent au travers de ses notes de lectures, de ces réflexions... qui finalement n'ont pas grand chose d'innovant et reflète bien l'état d'esprit des "idéalistes" de notre société de consommation.
    Ce petit côté un petit peu posé, ne m'a sauté aux yeux que plus tard, lorsque j'ai pris le temps de re-feuilleter le livre et d'y repenser. Cela n'a visiblement pas gêné ma lecture, ce qui veut dire qu'il réussit fort bien à faire passer son message et à nous embarquer dans son aventure.
     Cela nous en fait un peu oublier que cette expérience n'a au final rien d'extraordinaire : il y a des dizaines de cabanes habitées de long du lac Baïkal, pareillement prisonnières de l'hiver où des gens vivent, parfois à deux toute l'année, dans neuf mètres carrés, et contraints par des horaires de relevés météorologiques ou des sorties pêches. Sylvain Tesson n'a vécu qu'une partie de l'aventure, car il est oisif. Il dispose de tout son temps pour lui, ce qui lui donne un réel avantage sur ses voisins : il peut se déplacer comme bon lui semble, partir camper la nuit dans les montagnes, en un mot il est libre.

    Une chose qui m'a un petit peu gênée, c'est la consommation extrême qu'il fait de la vodka. Certes les russes en font grande consommation, notamment quand ils se retrouvent, mais de là à descendre la bouteille ou une demi-bouteille seul dans sa cabane ... Comment ensuite prétendre profiter à fond de l'expérience, prétendre éprouver au plus profond de soi l'Ermitage quand on l'embue dans les vapeurs de l'alcool. Cela ne me semble pas honnête envers le lecteur, mais surtout envers lui-même. Il n'est pas un ermite, loin de là, et c'est à peine s'il supporte sa seule présence sans soutien liquide quelques jours. Sylvain Tesson a encore beaucoup de chemin à faire pour savoir trouver le bonheur en sa seule présence. Ce voyage a sûrement été un premier pas sur cette voie, il ne reste plus qu'à espérer qu'il lui ait donné suite une fois rentré en métropole.

    Une question se pose à moi : a-t-on vraiment besoin de partir au bout du monde pour se retrouver face à soi-même ? N'est-ce pas extrême ? Ne peut-on pas trouver l'isolement, le calme et le repos près de chez soi ? Cela semble pourtant possible. Cela n'aurait certainement pas eu le même impact s'il s'était retiré dans les Alpes, mais le résultat aurait pu être sensiblement similaire.
    Pas besoin de partir si loin pour redécouvrir les joies d'une vie simple proche de la nature ; sinon cela serait bien triste.

    Ce qui fait le plus défaut à ce texte selon moi, c'est le peu de vie quotidienne qu'il nous donne. J'aurais aimé savoir comment était la cabane, quels étaient ses repas, comment les préparait-il, comment faisait-il sa lessive et sa toilette ... De tout cela il n'est jamais question, et pourtant cela me semble essentiel pour donner du corps et de la crédibilité à se récit. J'aurais aimé que la vie quotidienne vienne en renfort des réflexions de l'esprit.
    Peut-être est-ce un parti pris de sa part : laisser au lecteur le soin d'imaginer la vie qu'il aimerait avoir en cabane afin de mieux lui faire passer son message. Peut-être cela peut-il fonctionner avec certains lecteurs emportés dans le tourbillon d'une vie métro-boulot-dodo qui rêve de petits coins de paradis au vert où tout serait plus simple. Dans ce cas, mon scepticisme post-lecture vient de là : je ne fais pas parti de la catégorie de lecteurs initialement visés.

     Je sais que je suis indécise, d'un côté j'ai aimé ma lecture sur le moment, je me suis laissée porter par le texte ; mais une fois celui-ci fini, il m'a laissé une sorte d'amertume et une question : "Et ?". Une impression de trop peu, comme de la frustration, mais aussi de lassitude devant certaines réflexions très clichés. Et en même temps certaines autres m'ont semblé nouvelles et inattendues.
    Peut-être ai-je l'impression que l'auteur n'était pas cent pour cent sincère avec nous, mais comment le pourrait-il ? Toutes ses expériences sont médiatisées ... Peut-être que j'en attendais tout simplement trop ?

    C'est cependant un livre fort intéressant à lire, qui sous cette forme originale de carnet de voyage permet de faire passer un certain nombre de messages écologiques et humains, qu'il est urgent de diffuser le plus largement possible.
    A lire absolument sous un plaid avec une tasse de thé noir bien chaud sous la main, voir avec de grosses chaussettes aux pieds, parce que toute cette glace et toute cette neige !
    Je pense que je vais laisser passer un peu de temps et que je reprendrais cette lecture afin d'essayer d'y voir plus clair sur mon ressenti.

    La dernière caisse est une caisse de livres. Si on me demande pourquoi je suis venu m'enfermer ici, je répondrai que j'avais de la lecture en retard. Je cloue une planche de pin au-dessus de mon châlit et y range mes livres. J'en ai une soixantaine. A Paris, j'ai pris grand soin de constituer une liste idéale. Quand on se méfie de la pauvreté de sa vie intérieure, il faut emporter de bons livres : on pourra toujours remplir son propre vide. L'erreur serait de choisir exclusivement de la lecture difficile en imaginant que la vie dans les bois vous maintient à un très haut degré de température spirituelle. Le temps est long quand on n'a que Hegel pour les après-midi de neige.

    Une fuite, la vie dans les bois ? La fuite est le nom que les gens ensablés dans les fondrières de l'habitude donne à l'élan vital. Un jeu ? assurément ! Comment appeler autrement un séjour de réclusion volontaire sur un rivage forestier avec une caisse de livres et des raquettes à neige ? Une quête ? Trop grand mot. Une expérience ? Au sens scientifique, oui. La cabane est un laboratoire. Une paillasse où précipiter ses désirs de liberté, de silence et de solitude. Un champ expérimental où s'inventer une vie ralentie. 

    Le luxe n'est pas un état mais le passage d'une ligne, d'un seuil où, soudain, disparaît toute souffrance. 

    [...]je ne savais pas que cette lecture me mènerait en cabane. Il est dangereux d'ouvrir un livre.

     Qu'est-ce que la société ? Le nom donné à ce faisceau de courants extérieurs qui pèsent sur le gouvernail de notre barque pour nous empêcher de la mener où bon nous semble.

    Comment mesurer le confort de ces jours libérés de la mise en demeure de répondre aux questions ? Je saisis à présent le caractère agressif d'une conversation. Prétendant s'intéresser à vous, un interlocuteur fracasse le halo du silence, s'immisce sur la rive du temps et vous somme de répondre à ce qu'il vous demande. Tout dialogue est une lutte.

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