jeudi 21 septembre 2017

La Fontaine, une école buissonnière - Erik Orsenna

La Fontaine, une école buissonnière, de Erik Orsenna

198 pages
Editions Stock, Collection La Bleue
Parution : 16 août 2017

Présentation de l'éditeur :
    « Depuis l’enfance, il est notre ami. Et les animaux de ses  Fables, notre famille. Agneau, corbeau, loup, mouche,  grenouille, écrevisse ne nous ont plus jamais quittés.
Malicieuse et sage compagnie !
    Mais que savons-nous de La Fontaine, sans doute le plus  grand poète de notre langue française ?
    Voici une promenade au pays vrai d’un certain tout petit  Jean, né le 8 juillet 1621, dans la bonne ville de Château-Thierry, juste à l’entrée de la Champagne. Bientôt voici Paris,  joyeux Quartier latin et bons camarades : Boileau, Molière,  Racine.
    Voici un protecteur, un trop brillant surintendant des  Finances, bientôt emprisonné. On ne fait pas sans risque  de l’ombre au Roi Soleil.
    Voici un très cohérent mari : vite cocu et tranquille de l’être,  pourvu qu’on le laisse courir à sa guise.
    Voici la pauvreté, malgré l’immense succès des Fables.
   Et, peut-être pour le meilleur, voici des Contes. L’Éducation  nationale, qui n’aime pas rougir, interdisait de nous les  apprendre. On y rencontre trop de dames « gentilles de  corsage ».
Vous allez voir comme La Fontaine ressemble à la vie :  mi-fable, mi-conte.
Gravement coquine. » E.O. 


    De Jean de La Fontaine que connaissons-nous vraiment ? En dehors de quelques fables vues et revues tout au long de notre scolarité ? toujours les mêmes d'ailleurs, à croire qu'il n'en a écrit qu'une dizaine digne d'intérêts... C'est bien peu, avouons-le. Quelle fut la vie de cet homme ? quelles furent ses inspirations ? ces envies d'écrire ? Comment a-t-il réussi à ce faire connaître à une époque où il n'y a avait pas de grandes maisons d'éditions pour publier un livre et en faire la publicité ? une époque où la publicité elle-même n'avait pas été inventée. Qu'a-t-il écrit d'autres ? Les Fables sont-elles de bonnes représentantes de son oeuvre ?
    C'est un peu à toutes ces questions que tente de répondre Erik Orsenna à travers ce récit.
Avec lui nous partons sur les traces de La Fontaine, sur ce qu'il fut, où il a vécu et sa façon d'être au monde. Bien sûr ce n'est pas une biographie riche de détails sur sa vie, car il est difficile de reconstituer précisément la vie d'un homme ayant vécu tant de siècles auparavant. Heureusement que les écrits restent : textes, brouillons et correspondances.

    Tout au long du récit, l'auteur fait de son mieux pour nous dévoiler cet homme, dont l'attitude et les aspirations avaient de quoi choquer ses contemporains. Jamais La Fontaine n'a jamais été ambitieux, et s'il écrivait il le faisait ou pour quelqu'un en particulier ou pour lui-même. C'est sans craintes qu'il est sorti des sentiers battus, sans crainte qu'il a traversé sa vie, se laissant porter par le courant et c'est sans orgueil qu'il a compté sur la générosité de ses amis.

    Jean de La Fontaine a d'abord été un homme loyal en amitié, ce qui a eu un impact des plus certains sur sa vie ; mais jamais il n'a regretté son choix. Jamais il n'a été contre ses idées et ses envies de liberté, laissant la leur à ses proches de la même façon. Est-ce son contact avec la nature qui lui a donné une si grande liberté d'esprit, de raisonnement et ce peu d'intérêt pour les choses matérielles ? En lisant ce texte et ses textes, on sent l'Homme profondément pétri d'Humanité qu'il était.

    J'ai beaucoup appréciée qu'Erik Orsenna ponctue cette biographie d'extraits de textes de La Fontaine. Et pour attiser au mieux notre curiosité, il ne nous en livre souvent que le début, ce qui nous donne envie d'aller chercher des recueils et de se plonger dans ces textes inconnus de ce célèbre fabuliste qui était en réalité bien plus que cela : un vrai poète. Les vers étaient à la mode à cette époque, mais si cela avait été la prose il nous aurait livré de sublimes romans et nouvelles.

    On en apprend également beaucoup sur les contextes historiques et littéraires où il a vécu. Et si le monde d'aujourd'hui peut paraître une jungle pour les auteurs, que dire de celui de cette époque ? où l'une des seules chances de connaître la notoriété est de plaire au Roi et à sa cours ? Avouez que cela limites les possibilités. Et où les droits d'auteurs n'existant pas, vous ne pouviez vivre de votre plume sans mécènes...

    C'est une superbe biographie, riche et simple à la fois que nous livre Orsenna. Il sait passionner son lecteur, ce qui n'est pas toujours gagné pour ce type d'ouvrage. Il a su trouver les mots, le style et l'humour pour rendre ce texte accessible à tous les lecteurs. Un collégien qui ouvrirait ce livre serait tout à fait à même d'en apprécier la saveur, tout comme le lecteur rompu à cet exercice.
    C'est un ouvrage que je vous recommande si vous souhaitez découvrir qui fut réellement ce grand homme qu'est Jean de La Fontaine.

    Et puis le latin, une fois qu'on y acquiert une certaine maîtrise, le latin, c'est Virgile. Traduire Virgile, c'est mot après mot, voir surgir la Nature. Laquelle est, tout compte fait, la première école. Traduire, c'est explorer. Apprendre à regarder, à comparer. A rêver précis. Rêver, qui est tout, tout sauf rêvasser.

    La vie des La Fontaine est buissonnière. L'école et la vie communiquent, et sont toutes les deux buissonnières. "L'école buissonnière, dit le dictionnaire, est une école clandestine qui, au Moyen-Âge, se tenait en pleins champs." Clandestin, clandestine est aussi un mot pertinent pour parler de La Fontaine. Il sera toujours un passager clandestin de sa vie. Pas très sûr de lui-même, incertain de sa réalité, doutant de vivre la vie prévue pour lui. Flottant. Comme s’il fallait s'oublier pour parler à tous et à chacun, surtout ne pas s'inquiéter de savoir qui l'on est. Le génie est un passager clandestin.

    Paris et l'amitié, les deux royaumes se confondent. Les liens appellent les lieux. Seule la géographie ancre les penchants.

    De certains livres on dirait qu'ils vous ont choisi. Dès la première phrase, le cœur vous bat. Vous entendez une voix vous dire : "Tu veux être mon ami ?" C'est la voix du livre? Vous en pleureriez. Vous avez trouvé quelqu'un, et ce quelqu'un est un livre, quelqu'un pour vous protéger. Comme le ferait un plus âgé dans la cour de récréation.

    L'eau, c'est le modèle de l'écrivain, surtout s'il se veut poète. Rien de plus souple que l'eau courante, de plus varié que ses rythmes, tantôt s'emballant pour franchir des "rapides", tantôt calmée, reposée, presque immobile. Ainsi doit se faire la langue. Ainsi doit s'enchaîner tout récit. L'eau nous apprend la liberté.

    Tel, avec acharnement, a toujours voulu paraître notre La Fontaine : un paresseux, et même LE paresseux type.
    Hélas, hélas ! Cette dissimulation n'a pu tenir jusqu'au bout.


    Merci, merci à Beaumarchais, et pas seulement pour Le mariage de Figaro. Merci à lui d'avoir inventé, vers 1770, ce qu'on appelle "les droits d'auteur" !

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