dimanche 28 juin 2015

Mémoire de ma mémoire - Gérard Chaliand

Mémoire de ma mémoire, de Gérard Chaliand

107 pages
Editions Points
Année de parution : 2014


4ème de couverture :
La mémoire de ma mémoire n'est pas ce que j'ai vécu mais ce dont j'ai hérité. L'écho d'un passé. Elle est la partie immergée de mon histoire. L'amont nocturne de ma saga. Le caillot que j'avais dans le poing au jour de ma naissance et dont, enfant, on m'a transmis la tragédie. Et que j'ai voulu oublier.





    Dans ce livre Gérard Chaliand nous raconte des souvenirs, qui sont en fait un héritage. Plus que ses souvenirs propres, il rapporte ceux des veuves du génocide qui ont bercé son enfance. Il entremêle aux souvenirs des autres, les quelques siens, des notes d'histoire et des réflexions plus personnelles. Notamment ses interrogations et les liens de ce pan d'histoire avec d'autres faits historiques.

    Gérard Chaliand est un homme qui a choisi très jeune de prendre de la distance avec cet héritage de mémoire, pour se positionner dans d'autres combats du présent qu'il a choisis. Ce chemin de vie parcouru, lui a permis de revenir des années après sur ce bagage de souvenirs laissés en héritage. Il a alors assez de recul pour le comprendre, l'accepter, ou non, du moins pour en parler librement.
    Il est le dernier de sa famille, ses parents sont décédés lorsqu'il entreprend la rédaction de ce livre dont l'écriture s'étalera sur plusieurs années.
    Ecrire ce livre comme un devoir de mémoire ? Un petit peu, car ce qui est écrit laisse une trace et se partage. Mais surtout, c'est le chemin personnel d'un homme vers une réconciliations avec ce passé qui lui paraissait trop lourd, et qui a pourtant fait de lui, une partie de l'homme qu'il est devenu.

    Dans ce livre, il n'y a pas de parti pris, seulement des faits. Il n'était pas là, il ne peut pas savoir. Il relate des faits historiques et les souvenirs des autres.
    Parfois, tout de même, il se glisse dans la peau d'un de ces hommes qui s'est battu pour une Arménie libre ; parce que ça il sait. Il sait ce que c'est que de vivre la peur au ventre, caché, avec son fusil pour seul salut, et des idées pour seules compagnes. Au cours de sa vie, il a choisi de mener des combats auprès de peuples qui l'ont mené jusque là. Et pour tout homme pour qui la seule chance de salut est un tir précis et sans pitié, la sensation reste la même, animale : un de nous ne survivra pas, autant que ce soit l'autre.
    Alors dans ces moments là, Gérard Chaliand, par sa plume, devient un de ces arméniens d'autrefois. Mais jamais plus de quelques lignes ou paragraphes.
    Ce n'est pas SA mémoire, alors il rend la parole aux autres, à ceux qui y étaient, et à l'Histoire, dans sa plus simple chronologie de dates et de faits.

     Il n'est pas simple de vivre avec un tel héritage. Ne pas se focaliser dessus toute sa vie ne veut pas dire qu'on l'oublie pour autant, bien au contraire. La mémoire reste là. Mais le passé est le passé, il faut avancer vers demain, et un jour peut-être passé et présent résonneront d'un seul écho pour le détenteur de l'héritage.

    Il y a un devoir de mémoire, et un devoir de vie, Gérard Chaliand a choisi la Vie. Pour mieux revenir à la mémoire...

    C'est le second livre sur le génocide que je lis, et il n'a pas été plus agréable que le premier. Outre les faits rapportés, l'écriture n'est ici pas très fluide ou agréable. Un instant j'ai mis cela sur le compte d'une mauvaise traduction, avant de me rendre compte que ce livre n'est pas traduit.
    J'ai peiné à avancer dans ma lecture, notamment parce que j'appréhendais ce qui allait suivre : je suis une lectrice très facilement choquable... J'ai fini par adopter la lecture à voix haute, et cela à très bien fonctionné. Ce qui n'est guère étonnant si on y réfléchis bien : la transmission du passé et des souvenirs se fait d'abord par la parole, des anciens aux plus jeunes.

    Le génocide arménien est un sujet délicat à aborder, mais aussi un sujet très riche. A travers ce livre Gérard Chaliand nous délivre des clefs pour comprendre ce peuple sur plus d'un siècle, ce qui s'avère nécessaire pour comprendre ce qui semble seulement resté en mémoire : les massacres et les déportations dans le désert, or le passé des arméniens est plus remplis que cela !
    C'est un livre de découverte, qui donne envie d'aller creuser un peu plus les pourquoi-du-comment.

     "Au moment où je prends la mesure du temps et où tout le monde est mort, il est temps de se souvenir de cette histoire et de rendre aux ancètres ce qui leur est dû.
    Aujourd'hui, je salue votre désir de durer et de rester vous-mêmes, que je respecte sans le partager. Mon chemin a été autre. J'ai lutté avec des peuples de trois continents, j'ai partagé leur existence. Peut-être vous ai-je mieux compris grâce à eux. Vous revenez maintenant prendre en moi votre place, en paix, à l'orée des souvenirs. Et vos traces sont dans mes pas."

    "Personne ne parle des temps morts, car la mémoire ne conserve et ne transmet, dans les récits, que les moments, souvent brefs, où l'on affronte le danger. Comment on a rompu l'encerclement, à la faveur de la nuit ; la fois où on les a surpris, pendant qu'ils faisaient la sieste ; l'éxécution d'un traître devant le village assemblé ; la fuite éperdue, lors d'un ratissage. Les temps mors, pourtant, sont les plus longs."

    "Dur échec, payé par ceux qui n'avaient même pas cherché à contester l'ordre établi. Quand on ne tient pas ceux qui ont agi, on se venge sur les innocents."

    "La présence arménienne en Anatolie orientale, qui jadis s'appelait l'Arménie, disparut pour toujours dans un cataclysme qui sera répété, à une autre échelle et au coeur de l'Europe, durant une autre guerre mondiale. Les États ne font rien pendant les tragédies. Après, ils célèbrent des "in memoriam"."

Je remercie le forum Livraddict et les Editions Points pour la découverte de ce livre.

1 commentaire:

  1. Le génocide arménien est un sujet que je ne connais que très, très peu, à part quelques reportages vus à la télé. Du coup, lire un roman dessus m'intéresse beaucoup.

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