mardi 31 janvier 2017

Dans la paix des saisons - Christian Signol

Dans la paix des saisons, de Christian Signol

245 pages
Editions Albin Michel
Parution : Octobre 2016

4ème de couverture :
    Surmonter les séquelles d’une grave maladie, changer le cap de sa vie… A sa sortie de l’hôpital, Mathieu n’a qu’une idée en tête : quitter Paris, se réfugier dans le Quercy auprès de ses grands-parents qui l’ont élevé jusqu’à l’âge de douze ans.
    Rien n’a changé dans la petite maison à deux pas de la rivière où Paul et Louise luttent, chacun à sa façon, contre la marche d’un siècle qui les rejette. Le vieux maréchal-ferrant continue de forger des fers que personne n’achètera. L’ancienne sage-femme, qui a dû renoncer à exercer, s’est plongée dans la médecine des plantes. Porté par leur humanité généreuse, leur énergie farouche, leur obstination à être heureux malgré tout, Mathieu retrouve petit à petit la force, le courage et l’apaisement qu’il était venu chercher au pays de son enfance. L’amour et la sagesse de ces êtres qui lui sont chers vont lui permettre d’entrevoir la promesse d’une existence différente, plus féconde, d’un bonheur qu’il croyait à jamais perdu.


    Mathieu a quarante ans quand on lui découvre un cancer du poumon. C'est un coup rude, une bataille qu'il n'avait pas pensé devoir mener un jour, et surtout pas si jeune. Mais elle est là cette maladie qu'il faut soigner, qui laisse place aux douleurs déchirantes ou lancinantes. Et du jour au lendemain, Mathieu se trouve à l'arrêt. La convalescence le stoppe net dans le tourbillon de la vie parisienne dans laquelle il baigne depuis de nombreuses années. Ce repos forcé l'amène à réfléchir, à se poser des questions sur sa vie. Et dans son esprit se dessine de plus en plus nettement que seul un retour aux sources lui permettra de guérir.
    Il a l'impression que ce cancer est une sorte de punition quant à son silence auprès de ses grand-parents. Louise et Paul l'avait accueilli lorsqu'il était enfant, ils lui avaient donné toutes les clefs pour être heureux dans la vie, mais depuis le jour où sa mère était venue le récupérer, il n'avait guère donné de signes de vie.
    A la fois honteux et coupable, Mathieu décide de tenter ce long voyage vers les terres de son enfance.
Louise et Paul sont heureux de le retrouver, de pouvoir prendre soin de lui, de le pousser chaque jour vers la guérison. C'est un combat sur la vie de chacun mène à sa façon, s'épaulant les uns les autres.

    Dès l'antiquité les hommes avaient compris que le corps et le mental étaient étroitement liés, et que pour être en bonne santé il fallait une bonne hygiène de vie. C'est ce à quoi s'applique, dans la plus grande simplicité Paul et Louise, qui bien qu'âgés, semblent tenir la maladie à distance. Mathieu se rend petit à petit compte que la vie qu'il mène à Paris n'est pas bonne pour lui : trop de stress, de pollution, pas assez de temps pour soi, mauvaise qualité de la nourriture et des relations. Il traverse sa vie sans la vivre. Au travers des gestes et préoccupations simples de ses grand-parents il lui semble toucher à l'essence même de la vie, et par là même, du bonheur.

    A travers ce roman, Signol défend sa chère campagne. Cet auteur si profondément attaché à sa terre et à ses racines, se désole chaque jour un peu plus de l'abandon des campagnes. Et même si de nos jours, certains y reviennent, on n'y trouve plus la vie et les services qui s'y trouvaient autrefois.
    Les temps changent, Paul et Louise l'ont bien compris, obligés d'abandonner leurs métiers, ils continuent d'espérer qu'un jour les Hommes entendront raison. Car le monde ne peut continuer ainsi, les Hommes ne peuvent être heureux et épanouis dans les mégalopoles. Les Hommes s'usent la santé chaque jour un peu plus, pourquoi ? pour des biens matériels ? des rêves que les médias distillent insidieusement dans leurs veines ? pour des vies bancales ? Alors que la vie peut être si belle si l'on sait ouvrir son coeur à la nature, se contenter de peu et vivre au rythme des saisons, en produisant d'abord pour soi avant de produire pour les autres.
    Ces anciens qui ont connu la lessive à la rivière, les toilettes dans la cour et l'eau du puit, espèrent et savent au fond de leur coeur qu'un jour l'Homme viendra repeupler les campagnes.

    Ce livre est une parenthèse salvatrice, une grande bouffée d'air frais, une douce brise de printemps tiède qui passe dans le cœur du lecteur. Il fait réfléchir, rêver, donne envie de boire une grande tasse de tisane d'herbes sauvages et de s'asseoir pour regarder le jour décroitre.
    C'est un livre qui donne envie de se reconnecter à ses racines, à faire le tri dans sa vie, de Se choisir et de choisir le meilleur pour soi.
     La plume de Christian Signol est douce, entraînante, envoûtante. Il distille ses mots jusqu'au fond de notre cœur pour y allumer un grand feu de joie.

    A la réflexion, Mathieu compris que plus qu'une capitulation solitaire et définitive, c'était cette force qu'il allait chercher là-bas, une énergie qui présentait des affinités et des odeurs, des parfums, un monde où la défaire était niée, traitée avec le mépris qu'elle méritait, où jamais le moindre gémissement ne passait entre les lèvres le plus souvent closes, où l'on s'exprimait surtout par le regard, les gestes retenus, rarement des paroles qui disaient seulement l'essentiel d'une vie que la rudesse du monde extérieur ne ménageait jamais. Car la vie était un combat, et il était bien entendu une bonne fois pour toutes qu'il fallait serrer les dents pour le gagner. Tout le reste n'était que fantaisie et perte de temps, que la pauvreté n'autorisait pas. Ce qui n'excluait pas le bonheur, heureusement. Il suffisait de se contenter de peu de choses, ce que Louise et Paul savaient faire à merveille. 

    - Quand tu étais petit, dit Louise, devinant qu'il n'était pas bien, tu aimais que je te raconte une histoire chaque soir, comme si tu avais peur de la nuit.
    Il faillit répondre : "J'ai toujours aussi peur", mais il se retint au dernier moment.

    On ne peut pas vivre tourné vers le passé. Ce qu'il faut, c'est construire une vie que son esprit puisse habiter, c'est-à-dire un foyer où il se sente bien. 




lundi 30 janvier 2017

C'est lundi que lisez-vous ? [87]

"C'est lundi ! Que lisez-vous?" C'est une idée originale créé par Mallou, maintenant coordonnée par Galleane.
On répond comme chaque Lundi à trois petites questions :

1. Qu'ai-je lu la semaine passée ? 2. Que suis-je en train de lire en ce moment? 3. Que vais-je lire ensuite ?


Ce que je suis en train de lire : 
    
Du 23 au 29 janvier 2016
  Cette semaine, peu de lecture : je suis plongée dans Qu'est-ce que la littérature ?, de Jean-Paul Sartre.
Cet essai est passionnant mais très dense ; ce qui fait que je le lis par petites sessions lorsque la maison est calme. Je n'avance pas vite, mais je savoure ma lecture. Je suis heureuse d'enfin lire ce livre qui attendait depuis un moment dans ma Pal.


- Qu'est-ce que la littérature ?, de Jean-Paul Sartre

     Écriture et lecture sont les deux faces d'un même fait d'histoire et la liberté à laquelle l'écrivain nous convie, ce n'est pas une pure conscience abstraite d'être libre. Elle n'est pas, à proprement parler, elle se conquiert dans une situation historique ; chaque livre propose une libération concrète à partir d'une aliénation particulière... Et puisque les libertés de l'auteur et du lecteur se cherchent et s'affectent à travers un monde, on peut dire aussi bien que c'est le choix fait par l'auteur d'un certain aspect du monde qui décide du lecteur, et réciproquement que c'est en choisissant son lecteur que l'écrivain décide de son sujet. Ainsi tous les ouvrages de l'esprit contiennent en eux-mêmes l'image du lecteur auquel ils sont destinés.
  Mes prochaines lectures
Aucune idée pour le moment, il sera toujours tant de voir après cette lecture ;)

Je vous laisse avec une petite vidéo qui vous explique mon silence durant ces trois derniers mois, et je vous donne rendez-vous dès demain ici pour une nouvelle chronique !

Et vous que lisez-vous ?
Belle semaine livresque à toutes et tous !

dimanche 29 janvier 2017

Madame Bovary, le procès de Flaubert - Joseph Vebret

Madame Bovary, l'oeuvre condamnée, présenté par Joseph Vebret

95 pages
Editions Librio
Année de parution : 2009

4ème de couverture :
Les grands procès de la littérature
Les plus subversifs dossiers de l'histoire littéraire !
Les comptes rendus d'audiences et les extraits des oeuvres incriminées lèvent le voile sur les contradictions des moeurs d'une époque. Une façon moins classique d'étudier ces chefs-d'oeuvre de la littérature.

En 1857, Flaubert voit s'abattre sur lui les foudres d'un procureur zélé, Ernest Picard. Accusé "d'offense à la morale publique et à la morale religieuse", l'écrivain doit défendre ce qui deviendra un des plus grands romans de son époque.
Asseyez-vous sur les bancs d'une salle d'audience du XIXème siècle et mettez-vous dans la peau d'un auteur sous le second Empire.


    Le 29 janvier à 11 heures s'ouvre le procès de Madame Bovary dans une salle comble. Il y a là les amis de l'auteur, des écrivains, des critiques, l'équipe de La Revue de Paris, des curieux. Flaubert est fatigué, il paraît bien plus que ses trente-quatre ans. Il porte un habit venant du meilleur couturier de la capitale. 

    A la lecture de Madame Bovary, il nous paraît bien étrange que ce roman ait pu soulever tant de controverses, au point d'être accusé d'offense à la morale publique et à la morale religieuse. A la lumière du XXième siècle, ce livre parait bien innocent. Certes Emma Bovary est une femme adultère, mais rien de ses actions n'est détaillé. Mais n'est-ce pas ce qui est voilé, ou tout juste suggéré qui est le plus sujet à fantasmes ? C'est en tout cas ce que retient le procureur et c'est sur cette base qu'il attaque l'oeuvre de Flaubert. Il faut se rappeler que l'oeuvre est tout d'abord parue en six fois dans La Revue de Paris, plusieurs passages ayant été coupés, et les coupes signalées.
    Si le lecteur est libre d'imaginer ce qui se passe dans le fiacre entre Emma et Léon, où dans la chambre du vicompte ou dans la chambre de l'auberge, son imagination s'en trouve décuplée du fait des passages coupés, et qu'il le sait. Flaubert n'évoque jamais la chair, à peine s'il nous décrit un geste entre Emma et ses amants, situant l'adultère davantage dans la conscience et le psychologique. D'ailleurs si Emma s'y plonge s'est avant tout par désœuvrement et espérance d'une vie plus palpitante, si souvent elle se l'évoque c'est dans son esprit ou pour s'en trouver honteuse.
    Mais soyons honnête, une femme adultère qui "cherche à l'être" parait bien immoral pour l'époque. Cependant c'est une conclusion que l'on peut tirer après une lecture rapide et peu approfondie de l'oeuvre. Car en réalité, Emma ne trouve pas le bonheur, quoi qu'elle fasse pour l'obtenir ; au contraire elle attire sur elle les oiseaux du malheur, menant son couple et sa famille à la ruine. Tant et si bien que la vie lui en devient insupportable. Le suicide étant violemment rejeté par l'Eglise, Flaubert prend grand soin à rendre l'agonie longue, douloureuse et honteuse. Toujours il prend soin de punir son personnage.
    L'oeuvre accusée d'être immorale, l'est bel et bien pourtant ; et c'est même dans ce but là que Flaubert l'a écrite. Il dénonce le fait que l'on ne peut attendre d'une femme qu'elle se complaise dans une vie simple de campagne lorsqu'elle a reçu une haute éducation l'amenant à réfléchir et à côtoyer le monde. Cela étant également vrai pour les hommes. Comment être heureux à la ferme quand on a suivi des cours de latin, de lettres et de mathématique, dévoré des romans et essais, et aiguisé sa réflexion et son imagination ?! Situation toujours un peu vrai de nos jours.

    Voilà une partie de ce que l'on apprend à la lecture de ce petit document. Acquis il y a trois ou quatre ans, c'était l'occasion rêvée de le sortir et d'en apprendre plus. Il est parfois difficile de comprendre ce qu'un livre pouvait avoir de choquant et/ou d'innovant à son époque avec notre regard moderne. Approfondir le sujet a été presque plus captivant que de lire l'oeuvre elle-même.

    Dans ce petit bouquin, Joseph Vebret retrace rapidement la vie de Flaubert, nous narre comment est née Madame Bovary, nous situe l’œuvre dans son époque historique et littéraire, et son assignation à comparaitre devant la cours. Des passages entiers de l'accusation nous sont donnés à lire, ainsi qu'un bon morceau de la défense. Il nous conclut avec le verdict.

    J'ai grâce à ce livre découvert ce que le roman avait de si innovant, en quoi Flaubert était un précurseur ; sans lui je dois dire que je serais passée à côté de beaucoup de choses. Si Madame Bovary est une lecture agréable, un classique parmi d'autres pour moi, je sais ce qui en fait une grande oeuvre et dans mon esprit cela fait une grande différence.
    Je suis curieuse de découvrir Flaubert dans d'autres de ses écrits, et je sais que je vais à présent y chercher cette couleur réaliste qu'il y a ajouté.

    Si vous souhaitez en apprendre plus sur cette œuvre, je ne peux que vous conseiller ce petit document : simple, concis, accessible, il se lit vite et est très complet.

samedi 28 janvier 2017

Madame Bovary - Gustave Flaubert

Madame Bovary, de Gustave Flaubert

564 pages
Editions Le livre de Poche
Première parution en volumes : 1857


4ème de couverture :
    Une jeune femme romanesque qui s'était construit un monde romantiquement rêvé tente d'échapper - dans un vertige grandissant - à l'ennui de sa province, la médiocrité de son mariage et la platitude de sa vie. Mais quand Flaubert publie Madame Bovary, en 1857, toute la nouveauté du roman réside dans le contraste entre un art si hautement accompli et la peinture d'un univers si ordinaire. L'écriture transfigure la vie, mais s'y adapte si étroitement qu'elle fait naître sous nos yeux.



    Qui n'a pas étudié Madame Bovary au cours de ses années collège ou lycée ? Qui ne s'est pas vu imposer le film éponyme de Chabrol ? Pas moi hélas. Je me rappelle avoir lu ce roman pour la première fois en 4ème, parce que nous l'avions à la maison et que j'aimais piocher dans la bibliothèque de mes parents. L'année suivante, l’œuvre était au programme, en extraits, mais cela n'a pas empêché le professeur de nous lancer le film histoire de nous occuper pendant une heure et demi. Ayant apprécié ma lecture solitaire, Emma me devenait beaucoup moins sympathique sous les mots de mon professeur et ceux du réalisateur. Je pensais en être débarrassée. Mais que nenni, voilà que l’œuvre était également au programme en 1ère L, en entier cette fois tout de même ; mais toujours film à l'appui.

    Ma première question est celle-ci ? Pourquoi ? Pourquoi faire lire une œuvre si complexe, si fine au niveau psychologique à des adolescents qui malgré toute la bonne volonté du monde ne pourront jamais comprendre ni Emma ni Charles Bovary ?
    Et pourquoi y adjoindre systématiquement un film, parti pris d'un réalisateur ? Pour moi ce film est mauvais, et les souvenirs qu'il m'a laissé d'Emma sont très loin de ceux de la femme que j'ai rencontré dans le livre lors de cette relecture. Un film, c'est un point de vue tranché, une prise de position, ce n'est pas anodin. Chabrol se positionne quand Flaubert laisse le lecteur imaginer et remplir les vides avec ce qui lui semble pertinent. Il y a des adaptations cinématographiques qui tuent les livres, et pour moi celle-ci en fait partie.
    Je ferme ici la parenthèse cinématographique, pour me recentrer sur cette relecture.

    Depuis quelques mois, je sentais qu'il était temps pour moi de relire ce roman. Que le temps, les années, les expériences de la vie pourraient à présent me permettre de vraiment comprendre ce personnage tourmenté. Là où mes souvenirs m'avaient laissé l'image d'une femme froide, distante, malsaine et peu aimable ; j'ai rencontré une jeune femme rêveuse, perdue, déçue, touchante et bouleversée.
    Emma n'est pas vicieuse de nature, au contraire c'est une jeune femme vive, intelligente, passionnée à qui l'on a donné une bonne éducation. Elle aime à diriger sa maison et à lire. A l'école elle était stimulée par ses camarades, ce dont la campagne la prive. Dès lors Emma se raccroche à ses rêves. Elle rêve de tomber amoureuse, de tenir sa maison, de vivre une vie passionnante avec son mari. Elle aime être élégante. Hélas, sa vie est bien différente. Elle consent à épouser Charles Bovary avant tout parce qu'il lui semble différent des gens de la ferme qu'elle côtoie. Elle qui espérait vivre en ville, se retrouve dans un village, sans connaître personne, sans personne à qui parler de ce qui l'intéresse. Elle est en décalage permanent avec le monde qui l'entoure.
    Dans la petite bourgeoisie à laquelle elle appartient, à quoi peut-elle occuper ses journées ? Une bonne s'occupe de la tenue de la maison, elle n'a pas d'amies avec qui tenir salon, Charles est sans cesse accaparé par son travail, chaque dépense doit être minutieusement calculée... Les journées sont longues. Alors Emma lit et Emma rêve. Comment lui reprocher dans ses conditions d'apprécier les compagnies qui lui donnent l'espoir de sortir de son ennui ? de voir la lumière ? d'égayer ses journées ?

    Mais Emma n'avait pas prévue d'aller si loin. C'est Rodolphe qui, profitant de son ennui, l'attire sur la mauvaise pente.
    Emma est l'héroïne romantique par excellence, elle nous en donne la preuve avec Léon : préférant son absence pour rêver de lui à sa présence. Pourvu que sa tête soit pleine de rêves, que la vie lui donne quelques sujets de rêverie, elle s'arrange du quotidien. Mais quand résistant pour ne pas succomber, elle est poussée sur les chemins de la perdition par Charles lui-même, elle s'avoue vaincue. Elle qui savait si bien entretenir la distance de sécurité, ne peut plus rien contre son caractère passionné, lorsqu'on lui retire celle-ci.
    Mais si Emma espère de tout son être qu'elle sera "sauvée", elle sait depuis le début qu'elle est perdue, et que plus rien ne pourra faire machine arrière, que chaque jour de plus est un jour qui la rapproche de la fin, car elle sait qu'elle s'est laissée glisser trop loin pour regagner son salut, et qu'en perdant sa vertu et son honneur elle a entraîné sa famille dans les ténèbres avec elle.

    J'ai découverte une Emma attachante qui a su me toucher. J'ai eu mal pour elle, j'ai compris ses choix. Est-ce la maturité qui permet cela ? ou les aléas de la vie ? ou les deux ?

    Une des choses qui m'a le plus marquée, c'est l'écriture de Flaubert, tout en délicatesse, en petites touches de couleurs. Il suggère plus qu'il ne dit. Il laisse le lecteur libre d'imaginer ce qui se passe entre Emma et ses amants, pour lui ce n'est pas cela l'important. L'important c'est ce qui se passe dans l'esprit des personnages. Ainsi il nous dépeint un Charles heureux d'avoir épousé cette femme qu'il adule et qui, simple dans ses aspirations, aime sa vie, pourtant difficile sur de nombreux points ; mais ces points noirs ne sont pas importants, l'important c'est son état d'esprit, sa vision de la vie, son acceptation de celle-ci.
    Il nous dépeint une Emma intelligente, qui essaye de faire de son mieux, mais qui malgré toute la volonté qu'elle y emploie n'arrive pas à trouver le bonheur. Elle qui a besoin d'avoir l'esprit stimulé ne trouve que des banalités quotidiennes en face d'elle. Si on la sait élégante, nous savons davantage ce qui se passe dans sa tête. Elle nous parait belle quand elle se trouve belle d'être aimée, impulsive quand elle rejoint son amant, enfantine sous un parapluie la nuit, désillusionnée quand elle ne sait plus à quoi se raccrocher, honteuse parfois. Emma n'est pas une femme forte, pas une femme dépressive, pas une femme intelligente, pas une femme passionnée, pas une rêveuse, pas une fataliste, pas une envieuse,... elle est tout cela à la fois. Si un seul mot devait la caractérisée c'est Femme ou Humaine. C'est un être humain dans toute sa complexité, raconté comme tel, et en cela Flaubert innove dans ce roman.

    J'ai vraiment pris plaisir à cette relecture, et je pense que dans le futur je serais amenée à nouveau à le lire. Car c'est une œuvre magnifique, suffisamment riche pour toujours y trouver quelque chose de nouveau à apprécier. Dans cet article je ne vous ai presque que parlé d'Emma, mais il était important pour moi de me réconcilier avec et de pouvoir ainsi à travers elle apprécier toute la beauté de l'écriture de Flaubert. Je n'en ai pas fini avec cet auteur, j'ai hâte de le découvrir dans d'autres de ses œuvres.
    Bien sûr ce roman c’est aussi un roman qui retrace la société de la fin XIXème siècle dans les provinces françaises, avec sa fascination ou son rejet de la modernité, l'émergence de la bourgeoisie,...
    C'est toute une époque, toute une vie que Flaubert nous donne à lire, sans jamais nous ennuyer sur plus de 450 pages.

     Si vous ne l'avez pas encore lu, je vous encourage vivement à le faire car vous passez à côté d'une œuvre magistrale qui a révolutionné la littérature réaliste. Si vous l'avez déjà lu, pourquoi ne pas le relire ? juste pour le plaisir ? ou pour lui donner une seconde chance.

    Un homme, au contraire ne devait-il pas tout connaître, exceller en des activités multiples, vous initier aux énergies de la passion, aux raffinements de la vie, à tous les mystères ? Mais il n'enseignait rien, celui-là, ne savait rien, ne souhaitait rien. Il la croyait heureuse ; et elle lui en voulait de ce calme si bien assis, de cette pesanteur sereine, du bonheur même qu'elle lui donnait. 

    - Pourquoi, mon Dieu ! me suis-je mariée ?

    [...] sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord, et l'ennui, araignée silencieuse, filait sa toile dans l'ombre à tous les coins de son coeur. 

    - Eh quoi ! dit-il, ne savez-vous pas qu'il y a des âmes sans cesse tourmentées. Il leur faut tour à tour le rêve et l'action, les passions les plus pures, les jouissances les plus furieuses, et l'on se jette ainsi dans toutes sortes de fantaisies, de folies.
    Alors elle le regarda comme on contemple un voyageur qui a passé par des pays extraordinaires, et elle reprit :
- Nous n'avons pas même cette distraction, nous autres pauvres femmes !
- Triste distraction, car on n'y trouve pas le bonheur.
- Mais le trouver-t-on jamais ? demanda-t-elle.
- Oui, il se rencontre un jour, répondit-il.

vendredi 27 janvier 2017

Les règles d'usage - Joyce Maynard

Les règles d'usage, de Joyce Maynard

472 pages
Editions Philippe Rey
Parution : Septembre 2016
Traduit de l'américain par Isabelle D. Philippe

4ème de couverture :
    Wendy, treize ans, vit à Brooklyn. Le 11 septembre 2001, son monde est complètement chamboulé : sa mère part travailler et ne revient pas. L'espoir s'amenuise jour après jour et, à mesure que les affichettes DISPARUE se décollent, fait place à la sidération. Le lecteur suit la lente et terrible prise de conscience de Wendy et de sa famille, ainsi que leurs tentatives pour continuer à vivre.
    Le chemin de la jeune fille la mène bientôt en Californie chez son père biologique qu'elle connaît à peine - et idéalise. Son beau-père et son petit frère la laissent partir le cœur lourd, mais avec l'espoir que cette expérience lui sera salutaire. Assaillie par les souvenirs, Wendy est tiraillée entre cette vie inédite et son foyer new-yorkais qui lui manque. Elle délaisse les bancs de son nouveau collège et, chaque matin, part à la découverte de ce qui l'entoure, faisant d'étonnantes rencontres : une adolescente tout juste devenue mère, un libraire clairvoyant et son fils autiste, un jeune à la marge qui recherche son grand frère à travers tout le pays. Wendy lit beaucoup, découvre Le Journal d'Anne Frank et Frankie Addams, apprend à connaître son père, se lie d'amitié avec sa belle-mère éleveuse de cactus, comprend peu à peu le couple que formaient ses parents - et les raisons de leur séparation. Ces semaines californiennes la prépareront-elles à aborder la nouvelle étape de sa vie ? Retournera-t-elle à Brooklyn auprès de ceux qui l'ont vue grandir ?
   Émouvante histoire de reconstruction, Les règles d'usage évoque avec brio la perte d'un être cher, l'adolescence et la complexité des rapports familiaux. Un roman lumineux.


    Il y a des livres dont il est difficile de parler tant il nous touche au plus profond de notre être. Pour moi ce livre en fait partie. Combien de fois me suis-je assise devant mon clavier pour mettre des mots sur cette lecture, combien de fois ai-je abandonné à peine quelques lignes plus tard.
    Les règles d'usage, est un livre qui a besoin de temps pour cheminer en nous, pour nous éveiller et nous faire grandir. C'est un livre lumineux, riche, qui fait du bien. il nous réconcilie avec la vie, il nous donne envie de la croquer à pleines dents, d'aller de l'avant et de dire à nos proches que nous les aimons.
C'est un livre à fleur de coeur ; rien que d'en relire des passages les larmes me montent aux yeux. L'auteur, tout en restant simple dans son écriture, nous bouleverse ; nous rions, nous pleurons, nous hésitons avec Wendy.

    Je pense que ce livre peut se ranger dans la catégorie des livres initiatiques, pour adolescents ou non. Il fait partie de ces romans où il est facile de s'identifier au personnage principale, et qui donne l'impression au lecteur qu'ils se comprennent l'auteur, le personnage et lui.
    L'adolescence, c'est ce moment difficile où l'on sort de l'enfance, où le jeune prend conscience du monde qui l'entoure, le moment où il s'y frotte, où il s'y blesse, où il se perd. Ses repères changent, l'innocence et le rêve ne le protègent plus. Pour certains, ce passage se fera dans la douceur, sans heurts et sans drame ; mais d'autres ne seront pas épargnés par le sort, et il leur faudra piocher au plus profond d'eux-même la force de lutter.
     C'est ici le cas de Wendy, dont la maman ne rentrera jamais à la maison avec pour seule explication : qu'elle est allée comme chaque jour travailler au Wall Trade Center, mais que ce jour-là deux avions ont percutés celles-ci, les réduisant à néant, tout comme les centaines de personnes qui s'y trouvaient ce jour-là.
    Le 11 septembre 2001, il y a eu des centaines de Louie et de Wendy qui attendaient que leur maman rentre à la maison le soir, des centaines de Josh qui guettaient l'arrivée de la femme qu'ils aiment, des centaines de frères, soeurs, parents, amis, épouses, ... qui attendaient le retour d'un être cher.
     Comment réagir dans l'attente, le flou, les échos des médias ? L'incertitude est partout, l'espoir devient dévorant. A partir de quand l'abandonne-t-on ? A quel moment est-il acceptable de se raisonner ? Comment vivre après ça ? Comment survivre à ce sentiment d'insécurité permanente pour soi et pour les autres ? Comment accepter que les derniers mots prononcés n'aient pas été des mots d'amour ? Comment cohabiter avec le souvenir ?
    Wendy, 13ans, son demi-frère Louie et son beau-père sont confrontés à toutes ses questions, et chacun à sa façon va déclencher des mécanismes de survie, pour se protéger et pour ne pas sombrer, pour ne pas entrainer les autres dans sa douleur.

    Ne serait-ce pas là l'occasion de partir chez ce père qu'elle aimerait tant mieux connaître ? Prendre de la distance, du recul c'est une façon saine de se concentrer sur son deuil, et se reconstruire. Et ce père, pourtant absent, l'a bien compris. Il donne sa pleine confiance à sa fille, et la laisse venir à lui.
    Wendy aura la chance de rencontrer Carolyn, Violet, Todd, Alan et son fils, autant de personnes qui sauront lui apporter de l'affection et de l'écoute, car elle les a simplement laissé rentrer un petit peu dans sa vie.
    L'humain a besoin des autres pour avancer, pour vivre, pour grandir et pour guérir. Il ne faut jamais refuser une main tendue ou refuser de la tendre ; car c'est ainsi que l'on avance dans la vie. Un bonjour, une phrase échangée, un sourire, peuvent être une planche de salut.

    Ce livre se dévore, commencé le matin, je n'ai que difficilement pu le lâcher dans la journée, tant et si bien que le soir j'en tournais les dernières pages. Joyce Maynard sait nous entraîner au fil des pages, nous tenant en haleine, attisant notre curiosité, jouant avec nos sentiments sans jamais faiblir. Et lorsque nous reposons le livre, s'est sans regrets, car elle nous a tout donné, elle nous a apporté une fin satisfaisante, elle nous a nourri, a abreuvé notre esprit de questions, nous a poussé en avant et nous a donné envie de vivre encore plus grand.

     Ce roman est une de mes plus belles lectures de 2016, tant par le style, l'histoire que tout ce qu'elle m'a apporté. C'est un roman bouleversant mais optimiste et lumineux comme je les aime. Je ne peux donc que vous en conseiller la lecture.

    Tu crois qu'on pourrait noyer notre chagrin dans ce délice si on en mangeait assez ? lui demanda-t-il.
Elle étudia sa cuillère.
Pas assez de crème chantilly dans le monde, hein, Wen ?


    On a envie de laisser tomber, reprit-il dès qu'il put parler. Sauf qu'il faut continuer. Il faut se lever le matin et verser des céréales dans les bols. On continue à respirer, qu'on le veuille ou non. Personne n'est là pour t'expliquer comment c'est supposé marcher. Les règles d'usage ne s'appliquent plus.

    En septembre, tout ce qu'elle aimait - les chansons à la radio, les fringues, les parfums de glace et les races de chiens, les tas de feuilles, les grand-huit et le roller, les mangas, les sushis, le shopping, la clarinette, jouer dans les vagues à Nantucket avec son frère - avait fondu comme neige au soleil. Pas disparu peut-être, sauf que c'était presque pire : tout était toujours là, mais dépouillé de sa capacité à donner du plaisir. De même qu'une soupe où il entre tant d'ingrédients qu'à la fin elle n'a plus de goût, comme ce qui arrive quand on mélange de magnifiques couleurs de peintures et que, au final, le résultat est brun.

     Elle n'était pas moins triste, de fait elle l'était peut-être davantage. Mais elle revivait.

    Autrefois, Wendy croyait qu'il y avait un ensemble de règles dans la vie, dont la principale était que certaines choses, comme sa famille et le monde où l'on vivait, ne devaient jamais changer. Ses parents étaient aussi indissociables du paysage que les lions flanquant le perron de la Bibliothèque municipale de New York ou - elle aurait pu vraiment y penser en ces termes avant - les tours jumelles au bas de Manhattan. Le fait que votre mère air purement et simplement disparu, et que votre père, votre géniteur que vous connaissez à peine, vous emmène quelque part à cinq mille kilomètres de distance pour découvrir une vie complètement nouvelle avec lui était aussi impossible que renvoyer la pluie dans le ciel.