Il avait plu tout le dimanche, de Philippe Delerm
118p
Editions Mercure de France
Année de parution : 1998
4ème de couverture :
«"Revoir Paris." Arrivé à la gare du Nord, monsieur Spitzweg se surprend
à siffloter la chanson de Trenet. Ah oui ! finalement, c'est surtout
pour ça qu'il est parti. Dans la rumeur de sept heures du matin, une
grande bouffée de Paris lui monte au cœur, et c'est plus fort que toutes
les vagues de la mer du Nord. Il prend un café sur le zinc, dans les
annonces des haut-parleurs : "Le T.G.V. 2525 à destination de Bruxelles
partira de la voie 8..." Mais on peut bien parler d'ailleurs, Arnold
sait désormais qu'il est ici. Cette désinvolture du serveur, l'odeur des
journaux frais, un je-ne-sais-quoi de parisien dans l'arôme du café...
Monsieur Spitzweg reprend sa valise et hume les couloirs du métro comme
un jardin d'essences rares. Les carreaux de faïence, la couleur des
affiches, tout lui plaît. Dans le wagon qui le ramène à Guy-Môquet, il y
a un Noir avec un gros vélo rouillé auquel il manque une pédale.»
Après avoir lu
L'envol, j'ai eu envie de lire un autre livre de Philippe Delerm, et c'est en flânant dans les rayons de la bibliothèque que je suis tombée sur ce petit livre. Et je l'ai encore plus apprécié que le premier.
Dans ce texte nous suivons à nouveau
un homme Monsieur Spitzweg, qui doit avoir la cinquantaine.
Vieux célibataire, il travaille derrière un guichet des Postes toute la journée. Alsacien d'origine, il est venu à Paris pour fuir une déception, et pour être celui qui "travaille à Paris" : à l'oreille ça sonne plutôt bien et cela fait "celui-qui-a-réussi".
Monsieur Spitzweg
vit seul dans un petit appartement qui lui plait, dans un quartier qui lui plait. Il se laisse enchanter par la capitale et aime se promener des heures durant, au petit matin, dans ses rues, alors vides et calmes. Mais à bien y regarder sa vie aussi est
vide et calme, mais il ne s'ennuie pas pour autant, ce qui étonne parfois ses collègues.
Pour meubler sa vie, il a ses petits rituels, il sort, il va voir "ce qu'il faut voir", se promène, prend le temps de savourer son repas assis seul à sa table, apprécie un café en terrasse accompagné d'un cigarillo, ... La vie de Monsieur Spitzweg est faite de petits plaisirs tous simples.
Mais il y a aussi plein de choses que Monsieur Spitzweg n'aime pas : aller chez le docteur, les gros conditionnements au supermarché, ...
J'aime le façon simple dont Philippe Delerm nous rapporte la vie de cet homme,
comme s'il parlait d'un ami que nous connaissions bien. Nous rentrons dans sa vie au croisement d'une rue, nous l'accompagnons pendant quelques pages et puis nous le quittons, comme un ami à qui nous disons au revoir.
Mais Monsieur Spitzweg, c'est plus que ça ! Plus qu'un ami, c'est un peu de
notre reflet dans le miroir. A le regarder évoluer, il nous ramène à nous. C'est
l'Homme Universel. Celui qui s'adapte à son temps et qui vit tranquillement son petit bonhomme de chemin en s'accrochant à ce qui est beau et à ce qu'il aime. Il se focalise sur l'essentiel. Et même s'il suit les tendances, en allant au musée par exemple,
il n'oublie pas son individualité et sa liberté de regard, en ne remarquant ce que les autres ne remarquent pas.
Mais Monsieur Spitzweg, c'est aussi
les dangers de la solitude. Ancré dans son petit monde, il peine à y faire entrer les autres. Comment partagé son territoire quand il y a si longtemps que l'on ne croise que son reflet dans le miroir ? Quand chaque centimètre carré nous appartient et que l'on a aménagé sa tanière de façon réconfortante ? Même avec patience et envie, il parait tellement plus simple de laisser la porte se refermer sur l'Autre, que de le laisser entrer et
prendre le risque de modifier son univers.
Certes Monsieur Spitzweg ne s'ennuie pas, mais
il est prisonnier consentant de ses habitudes. Il s'est coupé du collectif, pour renforcer son individualité. Heureusement, que Monsieur Spitzweg travaille, ainsi il voit du monde, vit dans une petite communauté, bien organisée elle-aussi, donc rassurante et inoffensive. Sans celle-ci sa vie serait déséquilibrée.
A travers ce texte, Philippe Delerm, nous rappelle que malgré ses envies de solitudes, de rituels et de petites habitudes,
l'Homme est un individu social qui a besoin des autres, et qu'il ne doit pas s'en couper, même s'il est si facile de le faire.
J'ai adoré lire ce texte, il est prenant et l'écriture de Philippe Delerm est toujours aussi légère et efficace. C'est un petit livre que tout un chacun peut apprécier, et qu'il doit être intéressant de relire aux différents âges de la vie, où alors chacun y trouvera des angles de réflexions différentes.
C'est une petite lecture que je conseille, et qui je pense, ne décevra personne.
"Dans la vie de Clémence Dufour, il y avait quand même pas mal de vaisselles, de patins à l'entrée du salon, de "petits coups à donner" sur la table, avant de mettre le couvert. A l'inverse, elle trouvait à monsieur Spitzweg trop de cendres de Ninas éparpillées, de traces de dentifrice sur la joue, de journaux oubliés qui déteignent sur la toile cirée.
De toutes petites choses qu'on ne dit pas, bien sûr, dans l'ivresse des premiers temps. Mais de petites choses accumulées depuis vingt ans, sans aucune contestation, dans l'impunité redoutable de la solitude. Ils renoncèrent bientôt à l'idée de vivre continûment ensemble. Il valait mieux se voir dans des moments privilégiés."
"Pendant quelques journées, Arnold a été troublé. Ce don pour retenir les faits, les gestes, ce don qu'il ne savait pas mais qu'il fallait bien reconnaître, Arnold a craint de le glorifier. Il n'en étais pas vraiment fier, mais tout à coup plus loin, plus triste. A tant s'analyser, monsieur Spitzweg est allé jusqu'à s'inventer ce bien étrange paradoxe : "Oui, j'ai de la mémoire, car je n'ai pas de souvenirs."
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