mercredi 14 mai 2014

Et si on se prostituait ? - Eva Giraud

Et si on se prostituait ? de Eva Giraud

65 pages
Editeur : EdiBitch
Parution : 1er mai 2014
Livre électronique

Présentation de l'éditeur :
« J'ai cherché du boulot pendant quatre ans. Avec acharnement. Deux heures par jour, cinq jours par semaine. Je n’ai pas eu un seul entretien. J’ai postulé, cent fois, deux-cents fois, postulé encore. Et puis j'ai arrêté de compter.
J'ai 25 ans, je suis au chômage mais ne touche pas le chômage. Que faire quand on ne rentre pas dans les cases ? Eh bien, on fait comme moi, et comme des milliers d'autres : on cherche, on s'occupe, on travaille pour la gloire, et on prend ça avec humour. Et surtout, parfois, on a envie d'étrangler les gens qui nous disent que "quand on veut on peut". »
Elle s’appelle Eva, elle cherche du travail depuis… toujours ? Oui c’est plus ou moins ça. Vous connaissez tous une « Eva », nous sommes tous concernés de près ou de loin par sa situation. Heureusement, Jean-Claude est là pour la soutenir. Et c’est avec humour, bien qu’avec réalisme également, qu’elle nous présente son aventure, pour ne pas dire son parcours du combattant.
« Et si on se prostituait » est un témoignage qui n’emploie pas la langue de bois et qui dénonce une réalité qui ne fait pas toujours plaisir… Mais Eva a le mérite de s’exprimer sur le sujet dans cette nouvelle dont le ton léger permet de ne pas dramatiser le sujet abordé. Car même si la situation est effectivement dramatique pour nombre de jeunes comme Eva, elle a su présenter son expérience avec du recul et un cynisme qui lui va tellement bien…


     Attention il est fortement déconseillé de lire ce livre si vous êtes en pleine déprime parce que votre recherche d'emploi n'aboutit pas!

     Dans cette nouvelle Eva Giraud nous raconte mois après mois, les péripéties de la recherche d'emploi d'une jeune fille titulaire d'un BTS Edition. Chaque chapitre nous résume un mois de sa vie, presque totalement dédiée à la quête d'un emploi. Pendant 4 ans, cette jeune fille motivée, va essayer de tenir le coup et de s'accrocher à son rêve. Aboutira-t-elle enfin au précieux sésame : un contrat dans l'édition ?

     S'il vaut mieux que vous passiez votre route, pour ne pas finir de perdre le peu de motivation qu'il vous reste, si vous êtes dans la même situation qu'elle, en revanche il est très intéressant de le lire lorsque l'on est au lycée, prêt à se trouver une poursuite d'étude. Car la conclusion que cette demoiselle finit par tirer, c'est que son diplôme qui lui a coûté un bras ne lui sert à rien : il n'est pas reconnu dans le monde de l'édition, pire encore : personne ne sait qu'il existe ! De plus ce n'est pas un secteur porteur, et même avec une première expérience complète dans le milieu, elle ne peut trouver un emploi car : il n'y a pas de postes à pourvoir.
     C'est un texte qui peut aider à faire la part des choses entre les rêves et la triste réalité du marché de l'emploi. Bien sûr il est très difficile de prendre du recul lorsque l'on sort du lycée, la tête pleine de rêves et de grandes envies de liberté. "A 18 ans le monde nous appartient !", du moins c'est ce que l'on pense. Mais que nenni, et la vie vous remettra bien vite les pieds sur terre, alors autant essayer de les garder les plus près du sol dès le départ, la chute sera moins rude, et la perte de temps plus réduite (je ne parlerai même pas de l'aspect financier).
     Cette jeune femme souhaite devenir directrice éditoriale, c'est du moins le type de poste qu'on lui a promis à la fin de son cursus. Et comme elle y croit dur comme fer, elle recherche principalement dans sa branche, car c'est pour ça qu'elle est formée et c'est là qu'elle sera le plus compétente ; et limite les recherches annexes, car si elle n'utilise pas son diplôme sur un poste approprié dans les trois ou quatre ans, il sera perçu comme caduc. Du coup, elle s'inflige une vraie discipline : deux heures de candidatures tous les jours, plus des cours pour des formations complémentaires, et s'y tient !
     A côté de ça elle écrit des romans et va vite découvrir que les acquis de ses études vont surtout lui servir à promouvoir son roman parce que son éditeur ne s'investit pas dans une vraie promo de son livre.
Heureusement pour elle : s'est une battante et ses parents sont là pour lasoutenir.

     Dans cette nouvelle Eva Giraud nous dépeint un tableau assez noire de la recherche d'emploi, intéressant mais qu'il faut toutefois prendre avec des pincettes : il s'applique au milieu de l'édition, milieu fermé par excellence. Bien sûr d'autres secteurs d'embauche sont aussi bouchés, mais heureusement ce n'est pas le cas de tous ! D'où le fait qu'il faut bien analyser ces paramètres avant de se lancer dans ses études, et ne pas hésiter à se ré-orienter au besoin, ou à suivre un double-cursus.

     Ce qui est agréable, c'est que Eva Giraud ne rend pas son texte déprimant pour autant , il est teinté de touches d'humour et le rythme est entrainant. Une certaine joie de vivre perle à travers ces lignes et l'espoir est omniprésent.

     Une lecture plaisante, qui fait sourire et à faire lire aux jeunes qui veulent se lancer tête baissée dans le monde de l'édition !

     "Le week-end est réservé à la détente, à l'écriture et aux amis : il paraît que c'est important d'avoir une vie sociale."

     "Je commence à comprendre pourquoi le prof de gestion de BTS nous disait saouvent : "Bah, j'espère que vous ne rêvez pas trop ! C'est un milieu de pourris. Mais ce n'est pas trop tard pour penser à vous reconvertir.""

     "Pars donc t'aérer l'esprit, mon petit, tu finiras bien par trouver un avenir."

     "C'est vraiment étrange : être déçue de ne pas pouvoir postuler à un emploi mal payé qui ne vous plaît pas. Vraiment étrange."

     Merci aux éditions EdiBitch et au forum Have a break, Have a book pour la découverte de ce texte.

mardi 13 mai 2014

Un autre monde est possible - Francis Reitter



 Un autre monde est possible, de Francis Reitter

111 pages
Editions du Chemin Vert
Parution : 13 mars 2014
Livre électronique

Présentation de l'éditeur :

" Depuis les règnes de leurs altesses républicaines, Frantz s'identifiait de plus en plus au pauvre con cassé. "
C'est la fin du monde !, un monstrueux tsunami d'origine tellurique profonde a ravagé la planète. Dans quelques sommets ou plateaux épargnés devenus îles, sur des arches immobiles, va s'inventer un monde nouveau.
Comment la petite communauté des survivants va-t-elle évoluer ? Frantz, jeune retraité qui aspirait à un monde nouveau, observe cette évolution sous tous les angles : écologie, énergétique, économie, société, psychologie, philosophie politique...
Les lecteurs ont aimé : la fable politique, les questions contemporaines, l'humour.


     Voici un livre que j'ai littéralement dévoré, moi qui pensais juste en lire quelques pages un soir avant de dormir, et le finir tranquillement le lendemain ... je me suis fait eue ! Le livre m'a happée et je l'ai lu jusqu'à la dernière page, avant de sombrer dans le sommeil.

    Frantz, jeune retraité, s'est retiré avec sa femme et son fils, dans les montagnes des Vosges. Las de la société actuelle, et se sentant totalement impuissant à faire changer les choses, il attend un grand chamboulement qui ferait basculer la situation. En attendant celui-ci, il cherche à acquérir un peu plus d’autonomie, notamment énergétique, grâce à de petites installations. Cet ancien prof de littérature se penche vers les sciences et les travaux manuels. Il ne côtoie pas vraiment ses voisins, mais tous se connaissent et se saluent. La tranquilité règne sur ces sommets, jusqu'au jour où ...
    Une nuit, alors que la campagne était calme, tout va basculer, le niveau des mers et océans va incroyablement monter, jusqu'à transformer les sommets montagneux en petites îles. Une fois, les conséquences de cette catastrophe intégrées, il faut réagir. Les habitants de l'île de Frantz se révèlent être tous solidaires et réactifs, et une nouvelle communauté soudée se forme. Le partage et l'ingénieusité sont mises à profit, comme chacunes des connaissances et compétences de chacun. Tout le monde met la main à la pâte, et un nouveau mode de gestion des ressources se met en place.
     Mais en est-il de même dans le reste du monde ?

      Ce livre est une utopie, une vraie, avec ce qui peut équivaloir à un happy end. Mais cela n'est fait pas non plus un livre niais. Au contraire, tout est basé sur la nature généreuse de l'homme. Celle que l'on a un peu oubliée dans ce monde de consommation, celle qui se révélait aux premiers temps de l'homme sur terre : quand ce dernier prélevait à la nature seulement ce dont il avait besoin pour vivre, quand il partageait sans compter ses ressources et connaissances, qu'il accueillait chez lui l'homme de passage et qu'il n'accumulait pas.
     Sur cette petite montagne, les habitants ne s'étaient pas vraiment préparés à une "fin du monde", les connaissances acquises leur servaient chaque jour. On ne trouve pas parmi eux de survivalistes qui auraient la solution à tous les problèmes survenus, par exemple. On est dans l'exact opposé de la préparation de ces derniers, qui est une préparation principalement individuelle. Ici, juste un ou deux prévoyants, mais rien de plus, c'est ce qui fait qu'une communauté se forme de façon si spontanée : aucun ne peut survivre tout seul, chacun à besoin de ce que l'autre peut lui apporter.
     J'aime beaucoup ce message de partage, et de simplicité qui se dégage de ces pages. Et je voudrais y croire.
     Mais l'auteur reste réaliste, si cette petite communauté d'une cinquantaine de personnes s'installe dans un nouveau mode de vie et de pensée confortables, il n'en va pas partout de même dans le monde. Certaines communautés seront déchirées par les conflits d'intérêts, hélàs.

    La seule chose que je regrette, c'est que ce livre est daté dans le temps. En effet, dans les premières pages, il est beaucoup question de la situation politique de notre pays à l'heure actuelle. Il comprend des jeux de mots sur les noms des personnalités politiques, des petites anecdotes, qui, compréhensibles et amusantes pour nous, ne seront l'être pour les générations futures.

    C'est une lecture que j'ai vraiment appréciée, parce que pleine d'espoir dans l'humanité. La plume de l'auteur est fluide, simple. Le texte est bien construit, et chaque chapitre donne envie de lire le suivant. Et il nous réserve quelques petits surprises au cours du récit, auxquelles nous n'aurions jamais pensé.

    J'avoue m'être un peu inquiétée, après coup, de ne pas habiter à 700mètres du niveau de la mer, mais à bien y réfléchir, s'il arrivait une catastrophe quelconque, je serais bien mal préparée pour la surmonter, car je n'ai même pas de réserve alimentaire pour un mois dans mes placards ... Niveau autonomie, ce n'est pas ça. J'aurais juste des bougies et des livres, mais sans eau ni nourriture je ne donnerais pas cher de ma peau.

     C'est un livre qui permet de mettre de la distance entre nous et les discours alarmistes. Mais surtout il permet de réfléchir sur nous-même, sur nos connaissances concrètes, sur nos capacités, et qui nous valorisent en tant qu'être humain capable ! Nous possédons tous un savoir que nous ignorons, car accumuler par-ci, par-là, il ne nous est pas directement utile dans notre quotidien.

     "Frantz n'étant misanthrope et retiré du monde que parce qu'il en attendait trop, et éternellement déçu, ne pouvait supporter le lent déclin de son pays, la lente déchéance de ses semblables, qu'en s'en éloignant et en renouant avec la nature."

     "Car quelque chose DEVAIT arriver ! Frantz n'en doutait pas. Il continuait à penser, envers et contre tout, qu'"un autre monde est possible". Frantz était un indécrottable idéaliste."

     "On avait appris à goûter l'instant présent, à apprécier les petites choses, et surtout à ne plus céder à la satisfaction impérieuse de ses désirs, générateurs de frustrations."

J'ai reçu ce livre en partenariat avec les éditions du Chemin Vert et le forum Have a break, have a book, et je les en remercie.

dimanche 11 mai 2014

God save the pine - Jacinthe Nitouche

God save the pine, de Jacinthe Nitouche

60 pages
Editions Edibitch
Parution : 1er avril 2014
Livre électronique

Présentation de l'éditeur :
Je me regarde dans le miroir et remercie dame Nature de m’avoir autant gâtée. J’ai de grands yeux gris et des cheveux noirs coupés très courts pour faire ressortir mes traits fins. Je mesure 1,67m et je suis parfaitement équilibrée. J’aime mettre en valeur ce que je vois. Pourquoi cacher ce don qu’on m’a offert ? Ce serait un sacrilège. Je ne vous l’ai peut-être pas dit, mais j’ai une très grande confiance en moi qui me permet de me sortir de toutes les situations sans en pâtir. C’est grâce à elle que je survis dans cette jungle. Je n’ai pas peur de rencontrer des problèmes dans ce monde parce que je suis les problèmes. Je peux vite devenir ton pire cauchemar. Je suis ce qu’on appelle une garce ! Et je l’assume totalement. Pour le moment, c’est même ma seule raison de vivre.

     Ce petit récit est un préquel du roman Bora Bora’s Bitches, du même auteur. Rappellez-vous, je vous ai parlé de ce livre il y a quelques temps sur le blog.
     Pour mémoire, et pour ceux qui n’auraient pas le courage de parcourir ma chronique, Bora Bora est un appartement, où vivent quatre filles : Phillis, Jane, Petra et Jacinthe.
     Ces demoiselles se qualifient elles-mêmes de Garces. Mecs, musique, fringues, bonnes bouffes, soirées, … elles croquent la vie à pleines dents.
     Mais comment ces 4 filles, assez différentes les unes des autres, en sont-elles arrivées à partager cet appartement ?
     Dans le roman, nous y trouvons quelques pistes, ainsi que des anecdotes de leur passé respectif et leur famille. Jacinthe, Jane et Petra se connaissent presque depuis le berceau, mais Phillis ? Qui est-elle ? On sait comment elles se sont rencontrées, mais que faisait-elle là ce soir-là ? Et quelle était sa vie avant de rencontrer ses « grosses » ?

      C’est ce que ce récit nous apprend. Nous y rencontrons une Phillis Pine assez solitaire, qui sort avec son petit frère en soirée, et avec des potes de ce dernier, tant qu’à faire. Une Phillis qui a du mal à supporter sa belle-sœur, qu’elle prend très consciencieusement le soin de démolir quand cette dernière l’attaque sur sa vie jugée « trop libre ». Mais on y découvre aussi une Phillis un poil gentille, capable de tendre la main, mais pas trop quand même…

     On la comprend nettement mieux quand on sait qu’elle a grandi dans une tribu de frère pas vraiment sympa avec leurs petites amies, et qu’elle a vu sa mère consoler plus d’une fois ces dernières. La petite Phillis a donc appris très jeune à se protéger, et pour elle, cela revient à être encore pire que les garçons : une vraie garce !

      J’ai adoré le passage où on la voit se rendre en traînant des pieds au repas de famille, sachant par avance qu’elle va en prendre plein la figure. Et comme j’aimerais pouvoir répondre comme elle le fait ! Mais soyons réaliste deux minutes, des familles où une telle répartie ne déclenchent pas une guerre atomique doivent se compter sur les doigts d’une demi-main !

     Dans ce récit, on retrouve toujours la touche de l’auteur fidèle à elle-même : franche, parfois crue, qui ne fait pas de détours, avec toujours cette envie de nous décomplexer de la vie. On ne peut pas toute devenir des Phillis en puissance, même si je pense que cela ne déplairait pas à une petite part de notre inconscient, mais on peut parfois relâcher un peu la pression et vivre tout simplement ses émotions !

     Un bon moment de lecture, avec ce récit qui apporte des précisions au roman-père, mais je garde une préférence pour ce premier ! Ce préquel peut se lire avant ou après ou tout seul, peut importe c’est presque une histoire indépendante.

     Mais si vous avez lu Bora Bora’s Bitches, et que vous voulez tout savoir sur la chandelle de feu : c’est par là que ça se passe !

     « Je n’ai pas l’habitude de perdre mes moyens devant ce genre de personnage. En y réfléchissant bien, je ne perds jamais mes moyens devant personne. »

     « Je sais que les femmes ne m’apprécient pas, mais c’est souvent parce qu’elles sont envieuses de mon physique, même si je leur donne matière à l’être, mais plus de ma façon de me comporter. Qui n’a pas rêvé d’être une garce et de l’assumer totalement ? C’est se voiler la face que de penser le contraire. »

    « C’est quoi cette soirée ? Je dois m’occuper de tous les handicapés de la baise ? Si tu es mal dans ta vie et dans ton couple, contacte Phillis et elle te remettra ton sexe sur les rails. A quel moment ai-je commencé à perdre le fil de cette journée ? »

    « Je maudis ce sentiment. L’amour. Ca n’apporte que des emmerdes. Je me remercie souvent de ne pas tomber tomber aussi bas. »


     J'ai reçu ce livre en partenariat avec les éditions Edibitch et le forum Have a break, have a book, et je les en remercie.

samedi 10 mai 2014

Derrière toute chose exquise - Sébastien Fritsch

Derrière toute chose exquise, de Sébastien Fritsch

226 pages
Editions fin mars début avril

Parution février 2014

4ème de couverture :
Depuis près de vingt ans, Jonas Burkel photographie toujours la même femme ; seul le prénom change. Mais plus que les brunes longilignes au regard perdu, il semble que son vrai grand amour soit ses habitudes : ses disques de piano jazz, ses errances dans Paris… et ces corps féminins dociles et invariables.
La fille qu’il découvre dans un train de banlieue, accrochée à un roman d’Oscar Wilde, semble la candidate idéale pour prolonger la série : il oublie immédiatement son précédent modèle, imagine déjà sa nouvelle conquête devant son objectif, dans des rues sombres, sous la pluie, sous ses draps…
L'idée qu'une femme puisse refuser son petit jeu sentimental ne lui traverse même pas l'esprit. Mais comment pourrait-il deviner que, tout comme lui, la lectrice du train n’accepte aucune règle sinon celles qu’elle invente ? Et que tout ceux qui l’approchent doivent s’y plier ; jusqu'à y jouer leur vie
.  


     J’avoue avoir eu beaucoup de mal à rentrer dans ce livre. Il m’a fallu m’y reprendre à plusieurs fois pour arriver à passer les premières pages. Pourquoi ? Sûrement le style et l’écriture un peu chargés, et puis je m’y suis remise un soir, au calme, et j’ai commencé à lire à voix haute. Et ce fut une révélation, tout devenait plus fluide, plus clair, plus simple. Ma voix se faisait celle du narrateur, je portais ses interrogations à l’oral et cela fonctionnait bien. Je me suis alors vue happée dans ma lecture, entraînée par la musique des mots.

     Une fois la dernière page achevée, et le livre refermé, je suis restée un peu sceptique, ai-je aimé ce livre ou non ? Ai-je bien perçu ce que l’auteur voulait nous dire ?
 

     Sébastien Fritsch nous raconte à travers ce roman l’amour fantasmé d’un homme pour une femme qu’il a juste entrevue. Une femme belle, impertinente et mystérieuse. Est-ce ce mystère qui l’entoure, qui le séduit ? Dès les premiers regards, elle prend toute la place dans la vie de cet homme, qui n’arrive plus à se concentrer ni sur sa vie professionnelle, ni sur sa vie amoureuse, ni sur lui-même. Il est obsédé par elle, guettant le moindre signe de sa part.
     De l’homme contrôlant sa vie à l’extrême, il devient marionnette consentante, spectateur de sa propre vie dont une autre tire les ficelles. Mais pourquoi ? Dans quel but ?

     Ce livre est un livre d’obsessions. Jonas est aussi obsédé par cette femme fantasmée que son ex Margot l’est encore de lui. Cette dernière passe des heures entières dans la rue à guetter ses moindres faits et gestes, et à tout consigner sur des carnets. De la victime observée, il devient lui aussi observateur. Mais de quoi ?

     Cette jeune mystérieuse qui est-elle ? Nous ne savons que très peu de choses d’elle. Elle a envoûté Jonas de 20 ans son aîné, d’un simple regard, elle aime Oscar Wilde et plus particulièrement le Portrait de Dorian Grey, livre qui jouera un rôle titre dans ce livre. Nous savons qu’elle est grande, brune et mince, et vraiment très belle. Qu’elle sait jouer la femme fatale, et la jeune fille un peu paumée. Mais nous savons surtout que Jonas la trouve parfaite. Parfaite en tout point.

     Mais ne vous fiez pas plus à l’eau qui dort, qu’à une jeune fille à qui vous donneriez le bon Dieu sans confession !

     Ce personnage de la femme fantasmée, m’a fait pensé à celui de Nina de La Mouette de Tchekhov. Personnage omniprésent mais absent tout à la fois, il n’est présent que par la place que lui donne le personnage principal. Dans les deux cas, il s’agit d’une femme aimée, désirée, fantasmée et donc parfaite aux yeux de celui qui la fait vivre sous nos yeux.

     Jonas est un salaud, mais dans ce livre ce n’est pas ce trait de caractère qui le caractérise le plus, je trouve. Certes il se conduit fort mal avec la douce Emmanuelle, mais pour moi c’est surtout un idiot. Mais du genre idiot de première catégorie ! Certes on dit qu’il n’y a rien de plus bête qu’un homme amoureux, mais là on atteint des sommets de bêtises. Le moment où c’est le plus flagrant ? Lorsqu’il a des doutes sur sa chambre noire, mais qu’il ne va pas vérifier, tout à l’espoir de ce qu’il a imaginé.
     Il se berce d’illusions, sans jamais redescendre les pieds sur terre. Bien que l’adage dise que « L’espoir fait vivre » il ne fait pas oublier de s’ancrer dans le réel. Jonas, lui, vit tellement dans ses rêves et ses espérances, qu’il devient un spectateur de sa propre vie, comme absent de lui-même.
     Je ne pense pas que l’on puisse dire qu’il a basculé dans la folie, car il n’est pas fou, il est juste extérieur à lui-même. Il ne vit pas dans sa tête comme le font les fous, il vit dans un réel orienté dans une seule et même direction : la femme qu’il fantasme, et qui joue une partition parfaite pour le maintenir dans cette voie.
     Par contre comment en arriver à supposer qu’il intéresse cette jeune femme ? Comment peut-il encore se bercer d’illusions ?

    L’homme pense trop ! C’est un fait, nous pensons trop. Et il est intéressant de le voir ainsi transposé sur le papier. Au cours de ma lecture, j’avoue avoir été parfois un peu agacée par certains passages où le narrateur ressasse sans arrêts ses pensées, où il rapporte toutes ses suppositions, où il explore tous ses espoirs. Mais quoi de plus juste, à bien y réfléchir ? Ne passons-nous pas plusieurs heures par jour dans nos têtes à nous interroger ? revivre certaines scènes de la journée ? à formuler des suppositions ?
    Ici Sébastien Fritsch prend le pari de noter chaque pensée de son personnage, et il faut bien le reconnaître, c’était assez osé.

    Je regrette un petit peu la lourdeur du texte. Ce texte n’est pas des plus faciles d’accès, on n’ouvre pas ce livre pour s’y plonger si facilement. Le niveau de langage est élevé, les descriptions très denses, les phrases à rallonges. Je pense que c’est en partie ces dernières qui m’ont gênées dans un premier temps. Le début aurait pu être plus léger, plus enlevé. Jonas est un personnage qui se noie dans les paroles et les détails, mais il le fait un peu trop au départ, ce qui alourdi considérablement le texte, et atténue ce trait particulier de Jonas qui ressort davantage lorsque la situation lui échappe complètement.
     Quelques points de détails ont fini par me faire lever les yeux au plafond, comme « le canapé-lit rayé vert et blanc ». Au bout de la dixième allusion, j’ai fini par trouver ça un peu redondant. L’auteur veut-il insister particulièrement sur ce canapé parce qu’il est un élément stable et rassurant dans la vie de Jonas ? Je crois que le pire c’est que je n’arrive toujours pas à visualiser ce fichu canapé, moi !

    L’idée développée dans ce livre est vraiment intéressante, parfois un peu tirée par les cheveux, mais pour le moins originale. On ne voit pas venir la chute, et jamais je n’aurais imaginé que les choses tournent ainsi sur les cinquante dernières pages. C’était une fin pour le moins inattendue !

    Je crois que ce qu’il faut retenir c’est que fantasmer un homme ou une femme c’est lui donner un très grand pouvoir sur soi. C’est s’abandonner sans connaître l’autre et que cela peut vous conduire sur les voies du paradis ou de l’enfer …

    « Assise droite comme un i sur une banquette orange, elle lit. Et c’est en la découvrant ainsi, absorbée par des mots indifférente au monde, inconsciente du pouvoir qu’elle exerce, que je tombe amoureux. »

    « Elle n’est plus vraiment un corps, mais pas encore un objet non plus. Et à chaque fois, en bordure d’image, un aperçu du décor ravagé étaye, de ses arguments imparables, l’égarement de ses yeux pâles, la rigide affliction que l’on lit sur ses lèvres ou la désespérante résignation que dévoile l’inclinaison de son visage, fermé, absent. Elle donne ainsi à mesurer avec plus de violence cette effrayante sensation de solitude qui est le propre de l’homme. »

    « Elle ne se vante pas. Elle constate simplement son bonheur. Et son bonheur, c’est quoi ? C’est de m’avoir, moi, Jonas Burkel, quarante-deux ans et des poussières, photographe sombre, ami sans chaleur, amant sans foi, habitant indétrônable du quartier des Batignolles depuis dix-sept ans. Je ne comprends pas où se trouve le bonheur dans cette fiche signalétique. Il doit y avoir des petits caractères tout en bas que je n’ai jamais su lire. Mais c’est pourtant ainsi : Emmanuelle est heureuse avec moi, heureuse de m’avoir, heureuse de notre vie commune, simple, sans exigence. »

    « Je ne sais combien de temps je reste à la regarder pleurer. Il serait si simple de ne pas bouger, de ne plus bouger, de laisser, une fois de plus, la vie faire comme bon lui semble. Une femme dort dans ma chambre, une autre pleure sur le palier, je suis immobile entre les deux. Si je n’ouvre pas, l’une partira, l’autre se réveillera à l’heure du grand soleil et tout sera pour le mieux.
Ce scénario du moindre effort finit par l’emporter. » 


    Merci à l'auteur Sébastien Fritsch et au forum Have a Break, Have a Book, de m'avoir fait découvrir ce livre.