mardi 3 novembre 2015

Peer Gynt - Henrik Ibsen

Peer Gynt, de Henrik Ibsen

399 pages
Editions Gallimard, Collection Folio Théâtre
Parution : Juin 2015
Traduction de François Regnault

4ème de couverture :
    Ce jeune homme, qu'Ibsen emprunte à des contes norvégiens, plein d'imagination et de rêves, nous le trouvons oisif dans sa Norvège natale, racontant des contes à dormir debout, courant après les filles, ayant le coup de foudre pour la pieuse et sage Solveig, rencontrant des êtres fantastiques (les trolls, ce grand Courbe qui lui conseille de «faire le détour»), quittant son pays natal, faisant du trafic et des affaires douteuses, traversant l'Afrique d'Ouest en Est, jouant le prophète pour une fille du désert et côtoyant la folie, avant de revenir dans sa Norvège par tempête et naufrage, sans avoir rien acquis, et nous le retrouvons vieux, aux prises avec des créatures métaphysiques lui renvoyant la question de sa vie : a-t-il été soi-même ? Ni héros ni pécheur, mais, en un sens, tellement moderne : quelconque ! Toute sa vie, il a «fait le détour» : le fera-t-il encore lorsqu'il retrouve la femme qui l'attend ? Mais il reste de lui seulement ce poème. 

   Henrik Ibsen dit lui-même que cette pièce de théâtre est ce qu'il a écrit de plus fou, et c'est on ne peut plus vrai. Cette pièce est dingue, complètement dingue, elle nous transporte d'un univers à l'autre, d'un monde à l'autre avec une facilité déconcertante, et c'est ce qui fait tout son charme.

    Dans cette pièce nous faisons la connaissance de Peer Gynt, un norvégien issu d'un milieu modeste. Il n'a eu une enfance ni heureuse, ni malheureuse, mais pas facile. Peer Gynt, c'est un gentil naïf, un peu simplet, il est la risée du village qui se moque de lui. Impulsif il se laisse porter par les évènements et agit souvent sans réfléchir d'abord ; c'est ainsi qu'il se trouve un soir à kidnapper la mariée du mariage où il est invité, ce qui va l'amener à errer dans la montagne où il rencontrera une jeune fille troll qui veut l'épouser. Sans hésiter il dit oui, avant même de connaître les conditions de sa famille, il lui faudra fuir pour éviter le pire. Sa fuite le mènera en Afrique, loin de tous, il arrivera à se construire une petite vie prospère, avant que le vent ne tourne à nouveau et qu'il soit projeté dans des évènements plus cocasses les uns que les autres.
Et lorsqu'enfin il retournera dans son pays, où il aurait voulu revenir en Empereur et en maître, il se rend compte que personne n'a oublié les frasques de son passé, et que son nom est passé à la postérité dans le folklore local.

   La vie de Peer Gynt est partagé entre trois choses : le mensonge, l'envie de plaire et celle d'être lui-même. Mais il lui semble impossible de pouvoir combiner les trois. Le mensonge est la première arme qu'il utilise avec beaucoup de grossièreté, avec le temps, il tend à s'assagir, mais prétendre s'être trouver soi-même n'est-ce pas de nouveau un mensonge ?
    Partager entre son désir de plaire aux femmes et aux autres, il se perd lui-même alors que son envie est de se trouver lui-même ; alors il se ment à lui-même, et c'est peut-être le pire de tous les mensonges.
   Mais heureusement pour lui Peer Gynt garde une lueur de lucidité, et il sait lorsqu'il a poussé la farce trop loin et qu'il ne pourra plus faire machine arrière. Alors à chaque fois, il fuit, souhaitant repartir à zéro ailleurs, comme une répétition pour qu'un jour ce retour à zéro il puisse le faire dans son pays.

    Cette pièce de théâtre retrace toute la vie d'un homme comme un songe, mêlant monde réel et imaginaire, projetant les personnages fictifs sur des personnages réels.
   Est-ce un rêve ? Est-ce une allégorie de la vie ? Henrik Ibsen ne nous donne pas la réponse à cette question, laissant chaque lecteur, acteur et metteur en scène se débattre avec cette question. Il nous livre un texte fou et nous laisse libre d'en penser ce que nous voulons.

    En lisant la pièce, je me suis tout de suite dit que cela ferait des scènes cinématographiques superbes, que le cinéma d'auteur pourrait prendre cette pièce à bras le corps et nous livrer un film merveilleux, déroutant et plein de sous-entendus. Il y a tellement de lieu, tellement de descriptions de décor, que je me suis demandée, par contre, comment porter ce texte à la scène. Ce texte transgresse toutes les règles du théâtre classique : point d'unité de lieu et de temps, rien que de l'extravagance et une imagination débordante : une débauche de lieux et de personnages.
   Ce texte a pourtant été joué, certaines représentations ont durées plus de 5h, c'est énorme pour du théâtre ! Ce doit être une expérience unique à monter, à jouer et à voir.

   J'ai beaucoup aimé que dans cette édition le traducteur François Regnault, nous livre beaucoup de clefs pour comprendre le texte. Une préface nous donne les clefs de compréhension, nous dit à quoi nous attendre, nous détaille le procédé de création, certains mécanismes ... et heureusement ! Plonger dans le texte sans cette préparation préalable serait déroutante, alors que là nous plongeons avec délice dans le texte, car il a su aiguisé encore davantage notre curiosité.
   Le texte est également enrichi d'un corpus de textes annexes : une chronologie de la vie d'Ibsen, plusieurs pages de notes, mais surtout les contes populaires norvégiens qu'avait collectés Ibsen avant d'écrire cette pièce. C'est intéressant de pouvoir en prendre connaissance après la pièce, cela l'inscrit plus profondément dans la culture et le floklore norvégien.

   Cette pièce se lit comme un roman et non comme une pièce de théâtre, sa lecture est fluide et variée. C'est une lecture amusante, déroutante et prenante. Celui qui tente l'aventure au côté de Peer Gynt ne serait être déçu !

   Assez radoté comme une veille femme ! C'est quand la chance a fait défaut qu'elle revient comme il faut.

   Il faut que tu saches que je ne suis ni prince ni riche ; pèse-moi ou mesure-moi tant que tu voudras, tu ne gagneras pas grand-chose à m'avoir.

   Fais enterrer ma mère avec honneur. Moi, je m'enfuis.

   On ne doit pas lire pour engloutir, mais pour voir si ça peut servir.

   Être soi-même par la puissance de l'argent, c'est bâtir sa demeure sur le sable.


   Il faut être soi-même, il faut s'occuper de soi, de ce qui est à soi, en gros et en détail. Et si on n'a pas eu de chance, il vous reste toujours l'honneur d'avoir vécu en accord avec la doctrine.


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