mardi 21 juin 2016

La liseuse - Paul Fournel

La liseuse, de Paul Fournel

190 pages
Editions Folio
Parution : Juin 2013


4ème de couverture :
"Regardez, le texte s'ouvre.
- Et j'avance comment ?
- On tourne les pages dans le coin d'en bas avec le doigt.
- Comme un bouquin ?
- Oui, c'est le côté ringard du truc. Une concession pour les vieux. Quand on se souviendra plus des livres, on se demandera bien pourquoi on avance comme ça. Autant défiler vertical. Scroller. Ce serait plus logique. - C'est Kerouac qui va être content". 

    Robert Dubois, éditeur de la vieille garde, se voit remettre une liseuse par une stagiaire. Quelque chose couve qui pourrait être une révolution et cette perspective le fait sourire. 
    Un roman aussi tendre que drôle sur ce que lire veut dire.

    Robert Dubois travaille depuis toujours dans l'édition. Il en a lu des piles et des piles de manuscrits papier, cherchant ceux qui feront les succès de demain. Qu'il soit au bureau, dans sa maison de campagne en week-end ou simplement dans un café : il lit. Il tourne les pages les unes après les autres. Dès les vingt premières pages, il a déjà une idée de ce que le récit donnera, mais il ira toujours jusqu'au bout de sa lecture, par principe. Robert, il a ses petites habitudes avec ses piles de papier qu'il trimballe et manipule : la bonne position sur le canapé pour une lecture confortable, son vieux cartables pile à la bonne taille, ... Comment imaginer qu'un jour, tout change ?
    C'est pourtant le cas, et ce changement c'est par Valentine, la stagiaire qu'il va survenir. Un vendredi soir, alors qu'il est occupé à préparer ses lectures du week-end, elle est chargée de lui remettre une liseuse. Robert est d'abord réticent : lire sur électronique, quelle drôle d'idée !? Mais vu que ses manuscrits ont déjà été chargés à l'intérieur, il se laisse convaincre et part avec la machine, après en avoir demandé le fonctionnement.
    C'est alors une période d'adaptation qui se met en place. Il faut de nouvelles habitudes, de nouvelles positions de lecture, ... il ne lui est désormais plus possible de griffonner dans les marges, comment va-t-il faire ?
    Son rapport à sa tablette, va remettre en perspective tout son métier d'éditeur. Il va petit à petit s'interroger et réfléchir. Un de ses meilleurs auteurs semble déjà convaincu par ce système de lecture d'un autre type. Lire sur tablette, c'est ré-inventer la façon de lire. Grâce à elle on peut tout faire : livrer un poème chaque matin aux utilisateurs sur leur smartphone pour qu'ils le lisent dans le métro, c'est la porte ouverte aux textes cours, à la lecture ludique, ...
    Robert qui aime par dessus tout la poésie, y voit peut-être une porte de salut pour ce genre trop souvent laissé de côté et que peu d'éditeurs se risquent à publier. Il rassemble autour de lui Valentine et deux autres stagiaires, et leur donne carte blanche pour lui proposer de nouvelles façons de publier et d'éditer.

    La lecture sur support électronique n'est pas seul sujet du livre. Il y est aussi beaucoup question du métier de lecteur. Après des années de bons et loyaux services, Robert se rend compte qu'il n'a guère eu le temps de lire les livres publiés par ses confrères ou les classiques. Jamais il ne prend le temps de choisir une lecture pour le plaisir. Il avale les piles de manuscrits, prenant ce qu'on lui donne, sans qu'il ne sache de quoi il va s'agir. Même si souvent "C'est l'histoire d'un mec qui rencontre une fille ... "ou "C'est l'histoire d'une fille qui rencontre un mec...".
    D'ailleurs son histoire à lui ne diffère pas vraiment de cette trame : "C'est l'histoire d'un mec, Robert Dubois, qui rencontre une fille, Valentine, et... ". Rassurez-vous, entre ces deux là, il n'est pas question d'amour, ou seulement de celui de la lecture, rien de plus. Robert est marié à Adèle et il l'aime passionnément depuis de longues années. D'ailleurs Adèle, est beaucoup plus convaincue que lui par la lecture sur tablette et lui emprunte dès qu'elle le peut l'appareil. Peut-être, est-ce un peu elle qui le convainc au final ... ?

    En écrivant ce livre Paul Fournel s'est attaqué à un sujet qui a beaucoup pré-occupé le monde de l'édition conventionnelle, et qui a beaucoup occupé les lecteurs. La lecture électronique va-t-elle tuer le livre papier ? Les deux peuvent-ils être complémentaire ? Comment l'édition conventionnelle peut-elle s'adapter ?
    Quelques années après la parution de ce livre (en 2012), on peut constater que les deux co-habitent sur le marché du livre. Que les lecteurs ont leurs habitudes et leur préférences, que de nouvelles maisons d'éditions 100% numérique se sont montées, et que l'édition conventionnelle essaye de proposer aussi des livres sous format électronique. Mais on est encore loin d'un système qui fonctionne parfaitement. L'édition traditionnelle est encore effrayée par le numérique, la gestion des droits d'auteurs est compliquée, ... Mais le livre numérique permet aux auteurs des temps anciens, que l'on ne publie plus de ne pas tomber dans l'oubli. Peut-être est-ce là l'une des nouvelles façons de lire que pressent Robert Dubois.

    J'ai trouvé la lecture de ce petit roman très agréable, et j'avoue qu'il m'a donné très envie de ressortir ma liseuse. Comme le souligne Paul Fournel, un lien se crée avec l'objet. Certes ce n'est plus avec l'objet livre, mais la tablette devient une alliée de tous les jours, une compagne à travers moult récits et c'est tout aussi plaisant.

    Je la pose sur le bureau et je couche ma joue dessus. Elle est froide, elle ne fait pas de bruit, elle ne se froisse pas, elle ne macule pas. Rien ne laisse à penser qu'elle a tous les livres dans le ventre. Elle est juste malcommode : trop petite, elle flotte dans ma serviette, trop grande, elle ne se glisse pas dans ma poche.

    Lire en marchant n'est jamais recommandé de toute façon. Il faut vraiment être plongé dans un texte exceptionnel pour prendre le risque. La lecture du poème, en revanche, s'en accommode beaucoup mieux, entre deux vers on peut lever l’œil pour guetter le passage des poteaux et des réverbères.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire