jeudi 15 octobre 2015

Mr Gwyn - Alessandro Baricco

Mr Gwyn, de Alessandro Baricco

215 pages
Editions Gallimard, Collection Folio
Parution : Juin 2015
Traduit de l'italien par Lise Caillat

4ème de couverture :
- Je crois que j’aimerais être copiste.
- Cela consiste à copier des choses, non ? 
- Probablement. 
- Mais pas des actes notariés ou des chiffres, je vous prie. 
- J’essaierai d’éviter. 
- Essayez de voir si vous ne pouvez pas par exemple copier les gens. 
- Oui.
- Tels qu’ils sont. 
- Oui. 
- Vous y arriverez très bien.
    Qu’est-ce qu’un artiste ? Alessandro Baricco nous invite à suivre le parcours de Mr Gwyn, entre badinage et aventures cocasses. Un roman intrigant et brillant. 

 
   Mr Gwyn n'est pas un homme comme les autres et il va nous le prouver tout au long de ce roman. Mr Gwyn est un écrivain anglais, qui a une jolie réputation et une jolie petite bibliographie. Mr Gwyn aurait tout pour être heureux, alors ? Sûrement, si Mr Gwyn était quelqu'un de normal.
Mr Gwyn est anglais et n'aime pas avoir du succès, ou plutôt si, il aime ça et l'apprécie jusqu'à un certain seuil. Et ce seuil il semblerait qu'il soit franchi, comme en témoigne cet article qu'il fait paraître dans le journal The Guardian, avec lequel il collabore régulièrement. Dans cet article, Mr Gwyn s'engage à ne plus publier dans ce journal, mais également à ne plus écrire ou publier de romans. Pour son éditeur et ami, c'est un coup dur.
    Mais que va alors pouvoir faire cet écrivain à présent au chômage ? Comment vivre sans les mots ? Sans la discipline rude et contraignante de l'écriture, sans payer son tribut à la page de papier blanche ? Ce que Mr Gwyn pensait être facile, ne le serait finalement pas tant que ça.
    Si retomber dans l'anonymat lui plait, le désoeuvrement n'est pas à son goût... alors il laisse son imagination vagabonder, jusqu'à trouver une idée, l'Idée, avec un grand I. Une idée nouvelle et révolutionnaire, qui va changer sa vie, révolutionner l'écriture et peut-être même la vie de quelques personnes.
    Mr Gwyn est têtu et tenace, il ne lâche pas son idée, il la travaille, la peaufine, l'embellit, devant l'incompréhension la plus totale de son agent et ami Tom. Comment un homme de raison, qui navigue avec tant d'aisance dans le monde littéraire, qui connait le talent de Mr Gwyn pourrait-il cautionner ce projet ? Comment pourrait-il seulement le comprendre ? A défaut de le soutenir, il reste là en ami attentif, attendant de voir ce que tout cela va donner. Il est comme nous, lecteurs, à attendre de voir ce qui va se passer.

   Dans ce livre Alessandra Baricco réalise un vrai tour de force, il nous donne à rêver une communion, un lien étroit entre la peinture et l'écriture ; il invente un nouvel art. Il maîtrise les deux sujets, en connait les cheminements créatifs, ce qui lui permet de les entremêler et les fusionner dans la plus grande simplicité, nous entrainant dans ce projet fou. Tout nous devient évident, naturel, comme une simple visite d'atelier. Le cheminement créatif de Mr gwyn, tout en nous échappant nous semble évident ; jamais nous ne doutons de lui, du résultat...
    Et pourtant nous ne savons rien du résultat, rien ne nous est donné à lire de celui-ci. Alessandro Baricco fait ainsi de nous la pièce maîtresse du processus créatif, car chacun imagine à sa façon les portraits ainsi réalisés. Nous sommes libres d'en imaginer les grandes lignes, tout comme les détails, la forme, les tournures et les couleurs. Il titille notre imagination et notre créativité, et se faisant, nous invite à leur confiance, voir à s'y abandonner.

   La recherche de soi, est une quête à la mode, comme si dans ce monde, l'homme se perdait, trop ?, facilement. Ce mal être des gens, Alessandra Baricco l'a bien senti, alors c'est la mission qu'il donne à son personnage : aider les autres à se trouver, tels qu'ils sont au plus profonds d'eux-mêmes, sans masque, dans la plus simple expression de leur corps et de leur être. Car dévêtu, sans le regard des autres, on tombe le masque, on se laisse aller à sa vraie nature ; seulement, dans ces moments-là, personne n'est là pour le voir, le dire, l'écrire, le vivre.
    Au delà du roman, c'est un message d'espoir, des ébauches de pistes à suivre pour mieux se connaître, pour apprécier les autres au mieux, à voir à travers le miroir de la société. Une invitation à faire tomber les masques.

    J'aime beaucoup l'écriture d'Alessandro Baricco, son style est unique, à la fois vague et précis, toujours percutant, ouvrant sans cesse une porte vers l'imagination avec ces dits non-dits. A travers ses textes, il glisse de petites réflexions pertinentes, percutantes ; il soulève des questions auxquelles il nous laisse le soin de répondre. Il ne se fait que guide à travers une histoire, laissant au lecteur la possibilité d'y trouver ce qu'il voudra et de s'y trouver lui-même.

   Il faut s'abandonner à ce livre, faire confiance à l'auteur, ne pas réfléchir, lire encore et encore, jusqu'au bout, car il ne peut il y avoir de réponse qu'après la dernière page, après quelques jours, après quelques semaines.
   C'est un livre dont on ne ressort pas indifférent, un livre que l'on peut lire et relire, qui donne envie de voir le monde différemment, un livre intemporel qui je l'espère marquera le monde littéraire d'aujourd'hui et de demain.

    A l'âge de quarante-trois ans, toutefois, Jasper Gwyn écrivit pour The Guardian un article dans lequel il énumérait cinquante-deux choses qu'à compter de ce jour il ne ferait jamais plus. Et la dernière était d'écrire des livres.
Sa brillante carrière était déjà finie.

    De retour à Londres, Jasper Gwyn passa ses premières journées à marcher dans les rues de la ville de façon prolongée et obsessionnelle, avec la délicieuse conviction d'être devenu invisible. Comme il avait cessé d'écrire, il avait cessé dans son esprit d'être un personnage public - il n'y avait plus de raison que les gens le remarquent maintenant qu'il était redevenu un quidam. Il se mit à s'habiller sans réfléchir, et recommença à faire milles petites choses sans se soucier d'être présentable au cas où, à l'improviste, un lecteur le reconnaîtrait. Sa position au comptoir du pub, par exemple. Prendre le bus sans billet. Manger seul au McDonald's. De temps en temps quelqu'un le reconnaissait quand même, alors il niait qui il était.
  
   Toutefois au fil des jours, il commença à sentir peser sur ses épaules une forme singulière de malaise qu'il peina à comprendre au début, et qu'il apprit à identifier seulement au bout de quelques temps : même s'il était ennuyeux de l'admettre, le geste de l'écriture lui manquait, et avec lui l'effort quotidien pour mettre en ordre ses pensées sous la forme rectiligne d'une phrase. Il ne s'y attendait pas, et cela le fit réfléchir. C'était comme une petite démangeaison qui survenait chaque jour et promettait d'empirer.

   Il se rendait cimpte du caractère absurde des prémices, mais c'était justement cela qui lui plaisait, dans l'idée que si on retirait à l'écriture la finalité du roman, quelque chose se produirait, un instinct de survie, un sursaut, quelque chose.



1 commentaire:

  1. Je ne connais pas cet auteur mais à en lire ta chronique ça me donne envie de le découvrir.

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